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LE VICOMTE DE LAUNAY.

jours à écouter. Cela ne vaut rien du tout dans certains états. Prendre la mauvaise habitude d’écouter quand on a une profession de bavard, c’est très-dangereux ; les avocats savent bien ce qu’ils font : ils n’écoutent jamais personne, et ce n’est point par indifférence, c’est pour ne pas perdre leur spécialité.

Or, vendredi dernier, nous étions bien tranquillement occupé à écrire notre feuilleton, lorsqu’on est venu nous rappeler qu’il y avait un superbe concert chez madame la comtesse Merlin. Certes, nous ne l’avions pas oublié ; mais nous étions résigné au devoir et nous avions courageusement renoncé à tous les plaisirs de la soirée. — Eh bien, vous ferez votre feuilleton demain ! nous dit-on pour nous entraîner ; vous ne vous piquez pas d’exactitude. — Si vraiment, j’ai au contraire à l’exactitude les plus grandes prétentions. — Vous les dissimulez avec art. — Ne m’accusez pas. Lorsque j’ai l’air d’être en retard, c’est par respect pour quelque histoire attachante que je crains d’interrompre ; c’est aussi par coquetterie. Croyez-vous donc qu’on aime à jeter son nom à la place de celui de M. de Balzac, par exemple, et quand c’est lui qu’on espère, pensez-vous qu’il soit très-agréable de se résigner à venir ? Non vraiment ; nous ne croyons point ressembler à M. A…, cet homme d’un esprit si fin, si charmant, d’une conversation à la fois si piquante et si douce, dont une femme passionnée disait un jour : « Il est si aimable, si aimable, qu’on l’entend annoncer avec plaisir, même quand on en attend un autre. » Quel éloge ! Nous n’avons pas l’ambition de le mériter.

Le premier concert de madame Merlin a été magnifique.

Le lendemain de ce concert, il y avait chez madame de Lamartine une réunion bien intéressante à laquelle pour rien au monde nous n’aurions voulu manquer, d’abord par curiosité et puis aussi par orgueil. C’était ce que nous avons appelé une soirée de célébrités ; or plus on est obscur et plus on tient à faire partie de ces réunions merveilleuses. Jamais collection de supériorités ne fut plus complète ; jugez-en plutôt :

Grand orateur, M. Guizot.
Grand poëte, M. Victor Hugo.
Grand tragique, M. Duprez.
Grand capitaine, M. le maréchal Soult.