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LE VICOMTE DE LAUNAY.

une expérience de vieille coquette ; critiquant ceci, dénigrant cela avec un aplomb de vieux journaliste. Vrai, il n’y avait plus d’enfants, il n’y avait plus que des vieillards en miniature. On ne disait plus : « Grave comme un conseiller ; » on disait : « Grave comme un écolier. » On ne disait plus : « Imposante comme une reine ; » on disait : « Imposante comme une pensionnaire. » Et, dans le fait, les enfants d’alors étaient si sérieux, qu’on ne leur offrait plus de bonbons qu’en tremblant. Grâce au ciel, l’esprit d’enfance est revenu ; et c’était plaisir l’autre soir de voir dans le beau salon de madame Ch… sautiller toutes ces gracieuses petites filles, gambader ces jolis petits garçons. En vain un maître de danse profond et solennel, braquant ses larges besicles sur tous ces petits pieds, essayait de régler leurs pas et d’enfermer leur gaieté vivace dans les chaînes d’une contredanse, il ne pouvait en venir à bout heureusement ; et tous ces petits pieds s’agitaient, ces petites mains se mêlaient, c’était une confusion adorable. Et nous regardions folâtrer ces jolis amours, tout en causant avec leurs pères et grands-pères, orateurs de talent, hommes politiques éminents ; et nous disions, en leur montrant un bel enfant aux cheveux d’or que tout le monde admirait : « Quand on pense que cet amour blond et rose sera peut-être un jour ministre ! cela fait frémir. » C’est bien joli un bal d’enfants, de véritables enfants !

Le bal de cour… vous savez ce que c’est : une collection de bourgeois.

Le bal ou plutôt la soirée de célébrités… vous le savez aussi : c’est une admirable collection de supériorités, un médaillier d’intelligences ; on s’empresse d’y venir. On s’y amuse sans peine ; l’invitation seule est déjà une flatterie, et l’on se plaît toujours là où l’on est flatté.

Nous avons enfin le bal forcé, le bal de nécessité, qu’on donne par devoir et dans l’intérêt de sa position. Celui-là est admirable d’harmonie. Là, du moins, chacun des inconvénients est compensé par un inconvénient contraire. L’appartement est mal décoré… mais en revanche il est mal éclairé. Ici il fait trop chaud… mais plus loin il fait très-froid. On étouffe dans le salon… mais on gèle dans la salle à manger, qui donne sur un escalier glacial. L’orchestre est médiocre… mais on ne