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LETTRES PARISIENNES (1841).

écho, les langueurs de l’exil sans bornes, ils reviennent gaiement danser, valser dans les bals indigènes comme de simples Parisiens. Et pourtant on ne les traite plus de Parisiens. On les a nommés du nom de leur voyage, on les appelle les Persans. Or les Persans sont fort à la mode cet hiver. Chaque quartier a ses lions persans : le faubourg Saint-Germain réclame MM. Roger de la Bourdonnaie et Philibert de la Guiche. Le faubourg Saint-Honoré se pare de MM. de Sercey, Cyrus Gérard et Daru ; la Chaussée d’Antin fait valoir M. de Lavalette. Mais les Persans ne sont pas les seuls élégants que la mode favorise. Elle protège aussi beaucoup les Africains ; on appelle ainsi les jeunes gens d’une grande naissance, d’une grande fortune, qui, semblables à MM. François de la Rochejaquelein, Armand de Maillé et Louis de la Briffe, vont, soit comme officiers, soit comme soldats, faire la guerre en Afrique pour se désennuyer, et tuer des Arabes pour tuer le temps. Quoi ! des gens riches qui se font soldats et qui courent dans ce maudit pays, quand ils pourraient vivre ici bien tranquilles ! Que voulez-vous ! ils trouvent que, parce qu’on porte un beau nom et que l’on a une belle position, ce n’est pas une raison d’être inconnu et inutile ; et, honneur pour honneur, ils aiment mieux faire parler d’eux à propos d’une glorieuse expédition en Afrique, que de se rendre à jamais fameux sur le boulevard des Italiens pour avoir fumé trois douzaines de cigares en un jour, pour être tombé cinq fois dans une mare verdâtre, ou pour avoir compromis une danseuse de l’Opéra.

Les Africains et les Persans sont très-bienvenus dans les bals indigènes. Vous comprendrez que des danseurs qui font la guerre et qui voyagent pour leur instruction et pour leur plaisir soient de très-aimables causeurs. D’ailleurs, là, ils sont presque dans leur famille ; ces élégantes jeunes personnes, qu’ils retrouvent si grandies, si embellies depuis un an d’absence, sont toutes un peu leurs parentes ou leurs alliées ; ils ont été élevés avec elles ; et cette douce intimité de l’enfance, transformée par l’âge et modifiée par la coquetterie, prête un charme de plus à ces relations déjà anciennes et cependant aussi toutes nouvelles. Dans ces bals exceptionnels, tout le monde se connaît, et, comme tout le monde se connaît depuis longtemps, per-