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LETTRES PARISIENNES (1841).

est en général très-somptueux et d’une élégance irréprochable, mais sérieux comme la vanité et froid comme la prétention. Dans un bal de vanité, chacun arrive avec un regret et après avoir accompli un sacrifice. Celle-ci a fait des bassesses pour être priée ; celle-là s’est donné un habit de bal ou quelques petits diamants en dehors de son budget, et les petits diamants sont ceux qui coûtent le plus cher. Le maître de la maison ne connaît presque pas les grands seigneurs qu’il a invités, et qu’il a mérité de recevoir par ses dorures et ses tentures ; il les salue d’un air contraint ; ce n’est qu’à force d’importance qu’il parvient à cacher son embarras. Il ne se rassure qu’en les voyant contempler avec une dédaigneuse envie les magnificences de sa maison. C’est si flatteur d’être envié par des gens qui ne font aucun cas de vous ! Les bals de vanité sont rarement animés ; ils sont peu nombreux. On ne s’y amuse point, mais on s’y complaît. Là, on se sent choisi ; là, on se croit d’une essence bien supérieure à l’essence vulgaire ; on peut même s’y croire d’une nature plus délicate, car on y gèle et l’on s’y enrhume facilement ; mais on se console de ce désagrément, et l’on en tire parti en disant pendant huit jours à toutes celles d’entre ses amies qui n’étaient pas priées à ce bal d’élite : « Je suis bien souffrante, ma chère ; je me suis affreusement enrhumée l’autre jour au bal chez madame ***. — Ah ! vous y étiez ? — Oui, c’était charmant. »

Toutefois, les bals de vanité ont une physionomie particulière qui leur donne une valeur : un luxe bien entendu, une splendeur qui semble habituelle, une extrême recherche dans les détails, sont le caractère distinctif de ces sortes de fêtes ; mais cette extrême recherche n’est pas elle-même sans tristesse ; ce luxe imposant n’est pas non plus sans un cruel retour. On sent que toutes ces belles choses ont le tort d’être indispensables : ce sont les conditions du traité. Effacez ces dorures, arrachez ces tentures, et toutes ces brillantes personnes si fières d’avoir été admises, et pourtant si complaisantes d’être venues… disparaîtront. Quand on pense à cela, ces belles choses, que l’on regardait d’abord avec admiration, finissent par vous sembler laides, oui, laides comme… laides comme une condition. Est-il une chose au monde qui soit plus laide qu’une condition ?