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LETTRES PARISIENNES (1841).

mis de la royauté ? Loin de l’accabler, il faudra plaindre le député malheureux, effrayé ou fasciné, qui aura vainement voulu combattre

Barrot, le ministère et le chef de l’État.
Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? — Qu’il votât !

Ce qu’il y a de désenchanteur dans ces sortes de batailles, c’est l’affreuse et coupable habileté qu’on y déploie. Dieu, que c’est triste d’être habile ! Que M. Guizot a dû souffrir pendant ces débats ! lui qui a commencé sa carrière politique par une marche si franche, lui qui s’était si noblement habitué à une impérieuse loyauté !… comme il a dû souffrir de cette obligation d’être habile ! Que tous ces détours ont dû le fatiguer ! Pour un homme sincère, quelle rude tâche que la composition et le maniement d’une majorité ! Quel pénible rôle il a été contraint de jouer dans toute cette affaire ! Combattre avec la moitié de sa majorité contre l’autre moitié ; se mettre à la tête de l’opposition pour venir démolir cette majorité ; lutter avec ses ennemis contre ses amis, au risque de les affliger, de les humilier et de les perdre, et remporter une frauduleuse victoire en démoralisant son armée… Ce rôle a dû lui sembler horrible ; ce n’est pas celui-là qu’il avait rêvé ; nous lui rendons justice, et nous comprenons tout ce qu’il doit ressentir d’amertume et de découragement. Être forcé à de pareils détours quand on a choisi la ligne droite pour devise ; n’avoir plus que des soldats ignorants et traîtres quand on a eu d’intelligents et de loyaux auxiliaires ; n’avoir plus que des complaisants quand on a eu des séides, cela doit être bien douloureux. Voilà donc comme les caractères les plus absolus se décomposent en arrivant au pouvoir ; voilà ce que vous autres vous appelez habileté politique, stratégie parlementaire. Nous donnons à de telles manœuvres un autre nom ; nous appelons ce genre d’habileté la rouerie constitutionnelle, et nous disons : Si le pouvoir s’achète au prix de la loyauté du cœur, que le ciel en préserve ceux que l’on peut encore aimer et admirer !

Mais nous vous entendons d’ici vous écrier : « N’en finirez-vous donc pas avec vos fortifications ? » Que voulez-vous ! nous avons l’esprit très-mal fait et très-peu en harmonie avec la