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LE VICOMTE DE LAUNAY.

signe du télégraphe, trois mille bouches à feu sur la constitution ? « Quand Bonaparte, ajoutait-il, s’empara du pouvoir absolu après le 18 brumaire, il appela son despotisme du nom de république. Les libéraux du temps se déclarèrent contents, comme ceux d’aujourd’hui, et la liberté fut perdue. »

M. de Lamartine parlait ainsi au milieu d’un groupe de députés assemblés au pied de la tribune pendant le fatal scrutin. L’un d’eux, imprudent ou sincère, trahissant la véritable pensée de la loi, pour la défendre, osait dire : « Fortifier Paris, c’est fortifier le pouvoir. » M. de Lamartine reprit vivement : « C’est fortifier la guillotine ! » Les poëtes sont prophètes… Ô messieurs les pairs, ayez donc le courage d’avoir peur !

Mais non, ils se laissent séduire en détail, partiellement, individuellement. On les convie à dîner, ils savent que ces invitations sont un langage, et ils y répondent ; ils s’étonnent bien un peu de ces politesses tentatrices. Qu’on invite les députés pour les entraîner, c’est tout simple ; eux ne peuvent s’en offenser, ils donnent à dîner à leurs électeurs pour obtenir leurs voix, ils comprennent qu’on leur donne aussi à dîner pour avoir leurs votes ; mais les hommes indépendants, mais les pairs de France… c’est différent : ils ont le droit de s’effaroucher de pareilles avances. Quelques-uns, les plus délicats, s’en formalisent tout à fait ; mais cela ne les empêche point d’aller dîner, et cela ne les empêchera point de voter dans le sens de leur dîner.

Et cette loi terrible, mortelle, antinationale, antilibérale, anticonstitutionnelle, sera adaptée par les deux Chambres, malgré les convictions de ceux-ci, malgré les engagements de ceux-là. Une effroyable fusion aura lieu en sa faveur, de part et d’autre les sacrifices les plus laids auront été accomplis avec une honteuse émulation de faiblesse ; et lorsqu’un jour l’histoire étonnée cherchera à comprendre une si monstrueuse coalition, un si ténébreux complot, elle dira : Il y avait une fois une conjuration dont la tête était aux Tuileries et les pieds dans les bureaux du National. Comment voulez-vous qu’on résiste lorsqu’on est à la fois séduit et menacé ? Comment voulez-vous qu’on refuse de voter une loi qui a pour elle le ministère et les ennemis du ministère, la royauté et les enne-