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LETTRES PARISIENNES (1841).

très-ingénieuse, et pour notre part, nous l’avons depuis longtemps adoptée. Souvent nous nous demandons, en songeant à tel ou tel personnage politique, à laquelle de ces trois catégories il appartient, et, ce qui vous semblera singulier, c’est que nous avons remarqué que très-peu d’entre nos députés, par exemple, appartiennent à la seconde. On la croirait la plus nombreuse : eh bien, au contraire, c’est la plus pauvre. Voir les événements pendant qu’ils s’accomplissent, c’est bien facile, dira-t-on ; c’est pourtant ce qu’on fait le moins. On les voit peut-être mieux d’avance : il suffit pour cela d’avoir de nobles instincts ou de mauvaises intentions ; car nous ne devons pas oublier de ranger, dans la catégorie de ceux qui voient avant, les perturbateurs, les révolutionnaires, les faux guides, ceux-là ne sont point du tout ignorants dans la science du regard. Ils voient parfaitement bien que la route où ils vous poussent est fatale ; ils aperçoivent d’un coup d’œil la portée d’une loi mortelle, ils lisent couramment dans le livre de l’avenir, dont ils déchirent en se jouant les plus belles pages. Le mauvais génie, c’est encore du génie.

Mais les gens du monde… oh ! ceux-là voient après, longtemps après ; ils comprennent les malheurs, quand les malheurs interrompent les fêtes ; aujourd’hui ils s’amusent comme hier, et si on leur parle de ce vote désespérant, déshonorant, ils s’écrient impatientés : « Quoi ! encore les fortifications ! toujours les fortifications ! Quand donc cesserez-vous de nous parler de ces ennuyeuses fortifications ? » Quand elles seront bâties… Soyez tranquilles, alors on ne vous parlera plus de cela ni d’autre chose. Les feuilletons auront bien de la peine à être piquants à cette époque-là ; quel que soit le gouvernement appelé à jouir des bastilles, le silence sera par lui décrété : quel maître serait assez naïf pour laisser vivre la critique avec de pareils moyens de persuasion et après avoir établi une pareille censure ? Faites donc de l’ironie contre des citadelles, et lancez donc des épigrammes à des interlocuteurs qui vous envoient de la mitraille ! Ah ! M. de Lamartine, l’autre jour, avait bien raison de dire qu’il ne se fie point aux réserves que fait la gauche pour la liberté. Qu’est-ce qu’un article de loi devant vingt forts et une enceinte pouvant tourner, sur un