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LETTRES PARISIENNES (1841).

ont vue la veille et qui vous reverront le lendemain, peu importe ; mais paraître belle à des regards qui ne vous ont jamais aperçue et qui ne vous apercevront peut-être que cette fois ; séduire en une heure et pour la vie quelque voyageur étranger, quelque provincial un peu sauvage qui emportera votre souvenir dans son désert ou dans ses montagnes, c’est très-flatteur et très-grave ; il ne faut point du tout négliger ces triomphes-là. Pouvoir semer des souvenirs et des illusions plein une fête, c’est une coquetterie vaniteuse dont on ne saurait trop profiter. — « Rassurez-vous, on en profitera ; nous mettrons nos robes les plus fraîches ; nous serons très-belles. — Soit, mais ne soyez pas trop à la mode. En fait de parure, la fantaisie n’est permise que dans l’intimité du grand monde. Pour hasarder dans un bal certaine coiffure, certains costumes, il faut y être en force, avoir là tous ses amis, tous ses ennemis, tous ses parents et toutes ses envieuses fidèles. »

On vient de nous dire un mot de l’empereur Napoléon que nous allons tout de suite vous répéter. C’est au sujet de l’épée de François Ier, dont il a été si vivement question il y a quelque temps. Ce mot peint à merveille le caractère de l’empereur, à la fois enthousiaste et critique. En 1808, aussitôt après son entrée à Madrid, le grand-duc de Berg, Murat, ayant repris l’épée de François Ier, la confia au général Monthion pour la porter à l’empereur, qui était à Bordeaux. Cette mission était flatteuse, elle doit laisser d’heureux souvenirs. Il est beau d’avoir été choisi pour annoncer à l’empereur des Français que son armée triomphante venait de venger le roi de France ; il est glorieux d’avoir remis soi-même aux mains du soldat couronné l’épée du chevalier vaincu, cette noble prisonnière délivrée enfin après trois siècles de captivité. Mêler son nom dans une affaire à celui de Murat, de François Ier et de Napoléon, ce n’est pas du tout se compromettre. L’empereur reçut le glaive héroïque avec une joie visible. « Je suis bien aise, dit-il, de rendre à la France l’épée de François Ier. » Puis, examinant la lame d’un air pensif : « Cette épée, ajouta-t-il, est celle d’un brave soldat, mais d’un mauvais général ! » Heureusement François Ier n’a pu l’entendre ; il était susceptible et l’affaire aurait mal tourné.