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LE VICOMTE DE LAUNAY.

d’ôter son manteau entre chaque visite ; et puis, si l’on voulait être seul, on se mêlait à la foule. On quittait sa loge, et on allait admirer sur le théâtre le coup d’œil de la salle, qui était magnifique. Quelqu’un disait à propos de cela : « Les acteurs sont bien heureux ! ce qu’on voit de leur place est bien plus beau que ce que nous voyons de la nôtre… » Le fait est que rien n’est plus merveilleux que l’aspect d’une salle de spectacle vue de l’extrémité du théâtre : il y a là un effet de perspective dont rien ne peut donner l’idée. Nous recommandons aux personnes qui demain iront à l’Opéra pour le bal des Inondés d’avoir le courage de traverser une contredanse, au risque de l’embrouiller ; nous leur conseillons même d’avoir l’audace de traverser une valse, au risque d’être emportées par elle, et d’aller se placer au pied de l’orchestre, au risque d’être assourdies par lui ; et là, de rester un moment à contempler dans le lointain, sous ce déluge de lumière, cette assemblée superbe admirablement bien composée et immense, ce qui la rend imposante, mais divisée par petits compartiments, ce qui lui donne un air fantastique et presque puéril : on dirait un joujou colossal, un gigantesque musée de tableaux, mais de tableaux vivants, dont tous les personnages se connaissent, se parlent, se sourient et se saluent entre eux. Ce n’est plus une réalité, c’est une vision étrange, un enchantement, et l’on se surprend à chercher l’enchanteur ; les indiscrets vont même jusqu’à demander son nom. L’autre soir, à cette question que nous avons faite, on a répondu en nous citant une douzaine de noms illustres, que nous nous garderons de trahir parce qu’ils doivent leur illustration à de plus nobles choses, si toutefois il y a au monde une plus noble chose que la charité !

Le grand succès qu’a obtenu ce bal de la Liste civile est d’un heureux augure pour celui qui aura lieu demain à l’Opéra. Déjà de toutes parts on s’y donne rendez-vous. « Nous nous verrons mardi aux Inondés… cela se dit ainsi ; tâchez d’arriver de bonne heure et d’avoir une loge. — Moi, je ne pourrai venir que très-tard ; vous vous ferez très-belles, répond une patronnesse, mesdames, nous l’exigeons, c’est d’étiquette… c’est aussi de très-bon goût. » — Bien mieux, c’est un très-bon calcul : être jolie, dans un petit bal, pour des gens qui vous