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LETTRES PARISIENNES (1840).

ennuyeux, le bon goût. C’est une abstinence continuelle ; rien n’est plus monotone, rien n’occupe moins l’imagination. Une belle étoffe bleue, blanche, grise ou paille, est tout de suite choisie. Les choses très-distinguées ne sont pas très-variées, tandis que les choses mirifiques et bizarres au contraire sont inépuisables. Elles offrent à l’imagination des ressources infinies. Il faut rendre justice au mauvais goût, il est beaucoup plus ingénieux et beaucoup plus amusant.

On porte toujours beaucoup de volants. Les manches longues, justes et à coude, font des progrès. Elles vont mal aux femmes grasses et très-mal aux femmes maigres. Elles ont le tort de changer en habit de cheval toutes les redingotes du matin. C’est pourquoi, l’autre jour, une maligne personne disait à une de ses amies : « Vous avez là un joli peignoir, ma chère, il vous va à merveille. C’est Blain qui vous l’a fait, n’est-ce pas ? » L’épigramme était amère ; on ne l’a pas encore pardonnée.

À propos du tailleur célèbre, les hommes, qui, dans leur façon de s’habiller, ont, comme nous l’avons déjà fait remarquer, tant de grâce, tant de fantaisie, tant de goût et surtout tant de bon sens, viennent d’inventer un costume fort ingénieux. Le soir, dans les salons dorés, vous savez qu’ils sont tout en noir. Eh bien, maintenant, dans les rues, dans nos rues pleines de boue, ils sont tout en blanc ! Le paletot des marins est remplacé par une redingote de meunier assez avantageuse. Il y a de l’avenir dans ce changement, le frac sombre touche à sa dernière heure. Tout présage une révolution dans le costume des hommes. Voilà bien longtemps qu’ils sont laids dans la crainte de paraître ridicules ; maintenant que les voilà ridicules, peut-être oseront-ils enfin n’être plus laids !

Si nous aimons les concerts volontaires, nous aimons peu les concerts forcés, tels que celui dont nous jouissons malgré nous en ce moment. Nous écrivons ce feuilleton entre deux sonates. Il fait si beau temps aujourd’hui que toutes les fenêtres sont ouvertes, ce qui fait que toutes les études sont publiques. Jamais quartier ne fut plus musicien que le nôtre. Chaque étage paye son tribut à l’art. Il sort une voix de chaque fenêtre. Au rez-de-chaussée on joue du piano ; au premier, en face, nous