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LETTRES PARISIENNES (1841).

vie ! C’est l’hypocrisie organisée par la légalité. Un monarque absolu a pour lui du moins la franchise, il veut et il ose dire : « Je veux ! » Mais dans le gouvernement parlementaire, ce ne sont que ruses, détours, mensonges ; on veut et l’on ne dit pas : « Je veux… » On dit : « Je propose… » et l’on emploie toute l’énergie de son caractère à faire vouloir à d’autres sa volonté. Et ce n’est qu’à force d’humiliations dévorées, de complaisances avilissantes, de compromis honteux, de considérations indignes, que rois ou ministres parviennent à conserver ce lambeau de pourpre déchiré, reprisé, rapiécé, piqué par l’humidité, passé au soleil, mangé aux rats, mangé aux vers, sans couleur et sans valeur, que l’on appelle encore le pouvoir !

Ah ! nous rendons justice à nos ennemis ; parmi eux tous, il n’en est pas un seul, pas un, qui voulût de son propre gré accepter cette triste profession de roi constitutionnel. Quant à nous, nous comprenons que l’on se résigne aux plus arides travaux, que l’on choisisse avec orgueil la profession la plus pénible, qu’on se fasse laboureur ! qu’on bêche, qu’on pioche la terre, qu’on lutte avec la grêle, l’inondation et l’incendie, que l’on fasse dépendre son existence entière, le pain de son année, des caprices du ciel, de la colère des vents ; mais nous ne comprenons pas qu’on lutte sans dégoût avec toutes les passions mauvaises, avec toutes les médiocrités jalouses, que l’on fasse dépendre la gloire de son nom et l’œuvre de son règne de l’intempérie des consciences et de la fureur des sots.

Nous comprenons que l’on aille dans les déserts du nouveau monde prêcher une religion civilisatrice à des sauvages rouges ou verts, jaunes ou bleus. Dans cette entreprise périlleuse, on est soutenu par la foi ; si l’on réussit, on est porté en triomphe ; si l’on n’est pas compris dans son éloquence, on est rôti et mangé par son auditoire ; mais on n’est pas, du moins, calomnié, et l’on n’a pas à subir, enfin, ce supplice horrible, sans exaltation, sans palme, sans gloire, d’un pauvre roi constitutionnel, toujours victime et jamais martyr.

Encore une fois, nous ne comprenons pas que l’on accepte de gaieté de cœur un pareil destin, et nous sentons qu’on doit chercher à s’en affranchir sitôt qu’il est possible d’en changer. Tout homme qui a du sang dans les veines est absolu ; tout