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LE VICOMTE DE LAUNAY.

feront tomber la pensée, où ceux-là feront tomber la tête et la pensée. Toute la différence est là…

Ce n’est pas tout : ce projet baroque non-seulement nous paraît être un crime de lèse-humanité, de lèse-liberté, de lèse-nationalité, mais il nous paraît être aussi un crime de lèse-constitutionnalité.

Pensez-vous donc qu’un roi soit constitutionnel pour son plaisir, et croyez-vous bonnement qu’un roi puisse rester constitutionnel dans une capitale fortifiée !… Avec la meilleure foi du monde, il ne le pourrait pas. Mettez-vous à sa place… et c’est peut-être ce que vous désirez… et vous conviendrez que vous-même à sa place vous ne le pourriez pas. En fait de volonté, la possibilité est une tentation à laquelle un ange, un saint, un philanthrope couronné n’échapperait point. Les effets de la toute-puissance sont incalculables. On résiste au pouvoir d’un autre, mais on cède au pouvoir qu’on a. Tout roi, tout homme, toute femme est, si l’on ose s’exprimer ainsi, dans la dépendance de sa propre puissance, et n’en peut prévoir les entraînements. Un roi qui peut raisonnablement se permettre des rêveries d’obéissance n’est déjà plus libre de ne pas commander ; et, malgré lui, le roi le plus constitutionnel se déconstitutionnaliserait insensiblement, involontairement, dans cette atmosphère de salpêtre dont vous l’auriez enivré, devant cet appareil de tyrannie qui lui parlerait sans cesse de vengeance et d’impunité. Et, nous le disons naïvement, nous ne croyons pas que jamais un roi puisse être sincèrement constitutionnel. Le roi Louis-Philippe met tout son esprit à l’être, à le paraître ; Charles X n’a jamais pu y parvenir, et il y a noblement renoncé. Louis XVIII est celui de tous qui a joué ce rôle avec le plus de résignation, et cela s’explique : il était infirme. Quand on ne peut marcher qu’avec une brouette, on est préparé d’avance à ne gouverner qu’avec une charte.

Mais vous ne savez donc pas ce que c’est que d’être roi constitutionnel ! vous ne sentez donc pas ce qu’il faut de patience, de courage, d’abnégation, de patriotisme pour se résigner à un pareil métier ? Pour un grand prince, dans le gouvernement parlementaire, tout est supplice, effort, ennui ; toujours feindre, toujours craindre, toujours spéculer, tout calculer… voilà sa