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LE VICOMTE DE LAUNAY.

que l’on choisisse les plus riches étoffes pour la saison des grandes fêtes ; mais à Paris, au contraire, la belle saison, c’est l’hiver. Vous portez tout l’hiver du satin, quittez-le donc pour des étoffes plus légères quand vient l’été.

Or la perturbation est grande en ce moment dans le royaume de la mode. Comprenez-vous cette situation affreuse, née d’un changement subit : la robe d’hier ne peut être mise aujourd’hui, et la robe nouvellement choisie ne sera faite que demain. Ô perplexité ! que faire ? comment se parer ce soir ? On recueille ses souvenirs… cette robe de gros de Naples qui était si charmante l’été dernier, — oui, — elle doit être encore très-jolie, elle était toute neuve, on ne l’avait portée que deux fois. Voyons donc cette robe de l’année dernière. On essaye la robe rose, et c’est alors qu’on passe en revue, malgré soi, tous les plaisirs et toutes les inquiétudes de l’hiver. — Conversation intime entre deux sœurs. — L’aînée : « Ah ! ma petite, comme je suis maigrie ! j’ai essayé ce matin ma robe de taffetas… elle est large !… il faut qu’elle soit refaite entièrement ; elle croise de tout cela… Ce n’est pas étonnant, j’ai été si tourmentée tout cet hiver ! — La plus jeune sœur répond : « Et moi, ma chère, je suis engraissée, c’est effrayant ! mais cela ne m’étonne pas : je mène une vie si calme, si ennuyeuse ! je ne sors jamais et je dors toujours… Je ne peux plus entrer dans ma robe de pékin à grands ramages, elle est trop étroite de tout cela… je ne pourrai pas la remettre. — Tant mieux ! tu ne m’as jamais plu dans cette parure-là. — Mais l’étoffe en est superbe ; c’est une robe perdue, je ne sais qu’en faire. — Fais-en un fauteuil. »

Les robes à grands ramages ne conviennent à personne, ni aux jeunes femmes, ni aux autres, et cependant elles redeviennent à la mode tous les deux ans. Les dessins de cette année sont étranges ; ils nous ont semblé très-confus. Ce sont des doubles chinures, des jaspures, des bigarrures qui n’ont rien de séduisant ; les taffetas imitent les plinthes d’escalier, les peintures de corridor et les papiers d’auberge à s’y tromper. Cela est une revanche naturelle : depuis quelques années on tend tous les appartements avec des étoffes de robes.

À dire vrai, on a raison ; car, en fait de mode, c’est très-