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LE VICOMTE DE LAUNAY.

trouvé le Courrier de Paris ? » Quelques éloges auront su faire d’un bavard assez amusant un auteur prétentieux. Nous croyons sincèrement que les trop prompts succès ont détruit plus de talents que les plus injustes revers.

Le carême est fort brillant cette année, il lutte de plaisirs avec le carnaval ; c’est affreux à dire, mais il faut bien l’avouer, puisque cela est. On danse, on danse avec ardeur, comme on devrait prier, et certes on ne jeûne pas. Si vous voyiez souper nos élégantes, si vous saviez comme toutes ces nymphes mangent, vous ne vous croiriez point aux jours des privations pieuses ; vous ne comprendriez pas non plus pourquoi ces jeunes femmes sont si maigres. Vrai, quand on a assisté à l’un de nos grands soupers de bal, quand on a vu ces frêles beautés à l’ouvrage, quand on a mesuré de l’œil ce qu’elles ont englouti de jambons, de pâtés, de volailles, de sautés de perdreaux et de gâteaux de toute espèce, on a le droit d’exiger d’elles des bras plus ronds et des épaules mieux réussies. Pauvres sylphides ! en retournant chez elles, leur âme retrouve donc bien des chagrins !… car il faut plus d’une peine pour neutraliser les bienfaits nutritifs de pareils repas ! Un homme d’esprit a dit : « Les femmes ne savent pas le tort qu’elles se font en mangeant. » Et il a bien raison ; rien de plus désenchantant que de voir une femme belle et parée manger sérieusement. L’appétit n’est permis aux femmes qu’en voyage. Dans un salon, il faut qu’elles soient petites-maîtresses avant tout ; et une petite-maîtresse ne doit prendre au bal que des glaces, ne doit choisir que des fruits et des friandises. Cela nous rappelle ce mot d’un enfant qui entendait sa mère retenir à déjeuner son maître d’écriture, et qui voulait l’inviter aussi à sa manière. « Oh ! restez, monsieur, disait-elle (c’était une petite fille), je vous en prie ; je n’ai jamais vu manger un maître d’écriture ! » Sans doute, elle se figurait qu’un maître d’écriture devait manger des choses extraordinaires, des pains à cacheter peut-être, ou toute autre chose de son art. Eh bien, nous, nous sommes un peu comme elle ; il nous semble qu’une élégante ne doit se nourrir à l’œil que de parfums, de fruits et de fleurs.

Oh ! vous auriez ri lundi dernier, si vous aviez vu la consternation des spectateurs de l’Opéra mis à la porte si impi-