le même prétexte. À une heure du matin, on meurt de soif et l’on s’interroge avec anxiété. La maîtresse de la maison semble préoccupée ; elle n’adresse plus la parole à personne ; seulement elle sourit à tous ceux qui s’en vont. Un domestique vient lui demander : « Faut-il servir ? » Elle répond : « Non, il y a encore trop de monde. » Elle attend encore ; elle attend si bien que le courage manque aux plus intrépides, que le sommeil gagne les plus affamés. Elle dit enfin : « Servez ! » Mais au moment de se mettre à table, elle se trouve tête à tête avec son mari pour contempler un souper de quinze couverts pour lequel trois cents personnes étaient venues. Car dans ces sortes de fêtes, toute la vanité est de paraître avoir un souper ; mais le sublime de la diplomatie est d’empêcher qu’on ne le mange.
Autre vanité économique : les concerts à bon marché. Madame du Boulay ou du Boulard a deux filles à marier, sa fortune est belle, son salon est vaste, elle veut recevoir. Mais se réunir pour se voir et causer, cela ne se fait plus : on se connaît trop ou l’on ne se connaît pas assez pour cela. Les séductions de la table à thé, la brioche de famille, le verre d’orgeat et la demi-glace ne suffisent plus ; on a tant de rivaux pour de pareils plaisirs ! Que faire pour attirer la foule ? Imiter les salons du grand monde : donner un concert ; mais un concert est une chose grave, un vrai concert est hors de prix. N’importe, il faut de la musique, c’est la mode : on ne rentre pas chez soi satisfait si l’on n’y rapporte en souvenir quelques sons désagréables de clarinette, de hautbois, de violon, de violoncelle ou de piano. On se décide donc à avoir de la musique, mais on se décide en même temps à ne faire aucuns frais pour en obtenir. La difficulté paraît grande. Voici le moyen de la résoudre victorieusement. Il y a entre les grands talents et les amateurs une classe de médiocrités gémissantes qui cherchent la célébrité. On leur offre charitablement l’occasion de se faire connaître, on les choie, on leur promet des élèves, on les invite à dîner, on les admet à gémir, à miauler, à mugir, selon l’instrument sur lequel ils excellent ; on invite toute sa société à jouir de leur talent.
Ils chantent, ils jouent, on les applaudit, on les remercie et on ne les paye point. Ils s’en aperçoivent, et pour se dédom-