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LE VICOMTE DE LAUNAY.

offrir l’occasion d’exprimer les vôtres. La société de madame de Lieven semble le type de la politique dans une époque de haute civilisation ; politique élégante, simple, froide, causerie de salon et non plus bavardage de club ; terrain neutre où toutes les idées sont également représentées, où le passé se fond dans l’avenir, où les systèmes vieillis sont encore respectés, où les pensées nouvelles sont déjà comprises ; refuge pour ceux dont on ne veut plus ; asile pour ceux que l’on redoute. Madame de Lieven a choisi le seul rôle politique qui convienne à une femme : elle n’agit pas, elle inspire ceux qui agissent ; elle ne fait pas de la politique, elle permet que la politique se fasse par elle, et puisqu’il faut que tout le monde ait dit ce mot-là une fois en sa vie, nous dirons que dans son salon elle règne et ne gouverne pas.

Nous vous demandons mille fois pardon, mesdames, d’avoir osé parler de vous ; mais c’est bien un peu votre faute. Nous respectons l’obscurité des femmes qui se contentent des plaisirs de la famille et des querelles de ménage ; mais vous, qui vous mêlez des querelles de l’Europe, vous sortez des lois ordinaires. En faisant tout ce qu’il faut pour acquérir une grande influence, vous nous avez donné le droit de la constater.


LETTRE HUITIÈME.

Toujours des assassinats. — Paris en temps de neige. — Pâtés et canapés.
— Histoire de voleur.
29 décembre 1836.

Ah ! mon Dieu ! quel pays !… mais c’est affreux de vivre en France ; pas un jour de repos, pas une heure où l’on ose rire ! toujours craindre ou s’indigner, toujours s’apitoyer ou maudire, toujours des assassinats ; tous les six mois une exécution : cela devient monotone, en vérité. Depuis deux jours, on n’entend de tous côtés que ces deux exclamations ; les hommes s’écrient : C’est honteux ! les femmes s’écrient : Pauvre reine ! Ah ! c’est un triste pays que celui où la royauté a toute la pitié du peuple.

Paris, avec la neige, est une apparition fantastique. Paris est le silence !… n’est-ce pas un rêve ? Des voitures qui roulent et qu’on n’entend pas ; des passants qui marchent, qui