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LE VICOMTE DE LAUNAY.

leurs insouciants voulaient un jour se réveiller de leur sommeil d’hommes de bien ; s’ils se lassaient de voir toujours leur ouvrage détruit, leur place usurpée, leur avenir perdu ; si ceux qui labourent faisaient taire ceux qui pérorent, si ceux qui vendent faisaient enfermer ceux qui doivent, si les abeilles chassaient les frelons, nous serions sauvés ! Courage donc, indolents travailleurs ! sortez de votre léthargie dédaigneuse ; mêlez-vous au bruit, prenez la parole à votre tour ; défendez vos droits, que l’on usurpe ; vos intérêts, que l’on oublie ; votre repos, que l’on compromet ; conduisez vous-mêmes les grands travaux politiques ; mettez enfin la main à l’œuvre, et rivalisez d’activité avec les paresseux.

Il est encore une autre classe d’hommes d’État sans état qui méritent un regard de l’observateur : nous voulons parler de ces mauvais sujets en retraite qui se font puritains de journaux ; tout sert à leur vertu, tout, jusqu’à leurs plus joyeux souvenirs. Un front chauve avant l’âge, une vieillesse précoce, leur valent une précoce vénération. D’une voix enrouée par les veilles, ils tonnent contre le vice, ils le voient partout, ils le poursuivent avec acharnement ; et cela se conçoit, ils ont de bonnes raisons pour lui en vouloir ; les coquettes vieillies se font dévotes, les tapageurs retirés se font journalistes vertueux. La carrière est complète ; on mène jusqu’à trente-neuf ans joyeuse vie, on abuse de tous les plaisirs, on est le héros de toutes les mascarades, l’orateur de toutes les orgies ; on se fait entrepreneur de succès de coulisses et promeneur d’actrices plâtrées, on ne se refuse rien tant qu’on peut ne rien se refuser ; et puis, quand l’heure de s’arrêter arrive, quand on a perdu dans ce tourbillon de folies santé, fortune et considération, on se fait homme politique et l’on s’établit professeur de moralité. — Ô moralité ! il faut que ton autorité soit bien grande pour que ton manteau puisse couvrir les infirmités de tels apôtres. Et toi, public, qu’es-tu donc ? niais ou complice ?