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OU DEUX AMOURS

suivie ; mais ces mots : « Opéra… madame Stolz, malade, indisposition subite… voitures renvoyées… une pluie battante, une heure, sous le vestibule… » faisaient le fond de tous les récits. Madame d’Estigny comprit à peu près qu’on n’avait pu représenter l’opéra nouveau, et qu’on avait mis tous les spectateurs à la porte ; que ces dames, qui comptaient passer dans leurs loges la soirée entière, avaient renvoyé leurs voitures : et qu’il leur avait fallu attendre sous le vestibule un moyen quelconque de quitter l’Opéra et de venir jusqu’à elle.

Dès qu’elle eut compris, elle s’alarma : sa fille aînée était allée à cette première représentation manquée ; et songeant qu’elle aussi avait dû se trouver fort embarrassée à la sortie, sans domestique, sans voiture, elle décria : « Et ma fille !… » Alors une jeune femme qui jusque-là avait essayé vainement d’approcher d’elle lui dit tout haut : « Soyez sans inquiétude, madame, elle va venir ; M. de la Fresnaye vous la ramène. »

À ce nom, Marguerite se leva vivement. Une terreur étrange s’empara d’elle. Revoir M. de la Fresnaye lui paraissait un danger qu’il fallait éviter à tout prix.

Mais madame de Kalergis venait de se remettre au piano, les naufragés de l’Opéra l’ayant suppliée de les consoler, de les dédommager du plaisir perdu. Par une coquetterie fort aimable, elle leur joua plusieurs airs du nouvel opéra. Elle avait assisté à la répétition générale et retenu les motifs les plus brillants.

On vanta sa mémoire, sa bonne grâce, puis on lui demanda des mélodies, des valses, des mazurkas, toutes choses charmantes qu’il fallait bien écouter. Elle commençait un nouveau morceau d’Alkan, une marche très-originale, lorsque la fille de madame d’Estigny entra dans le salon avec une de ses amies. M. de la Fresnaye était avec elles. Ces dames allèrent s’asseoir sur un canapé, il resta debout près de la porte. La maîtresse de la maison lui adressa un sourire de remercîment auquel il répondit par un salut respectueux ; puis il se mit à regarder autour de lui avec indolence, comme un homme dont la pensée est ailleurs.

Tout à coup, derrière une grande Anglaise, bien soignée par tout le monde ce soir-là — elle avait ramené de l’Opéra