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MARGUERITE

amenait ces femmes si parées (elles étaient couronnées de fleurs et de diamants), ce qui les amenait à la même heure et ce qui leur donnait cet air aventureux et évaporé. Elle attira sa fille auprès d’elle.

— Voilà nos beautés à la mode, lui dit-elle ; regarde-les bien : elles sont toutes laides.

En effet, ces beautés n’étaient point belles ; au premier aspect même, un ignorant se demandait ce qui avait pu motiver leur réputation. Il fallait apprendre à les trouver jolies ; mais une fois qu’on savait !… une fois qu’on avait fait une étude raisonnée de leurs agréments, on les déclarait adorables et bien plus séduisantes que ces beautés positives, éclatantes, incontestables, qui sautent aux yeux de tout le monde et tout de suite, qui n’ont besoin pour être découvertes des révélations d’aucun homme de génie, qui peuvent se passer d’un Christophe Colomb, d’un Améric Vespuce et même d’un Magellan. Car ces mystérieuses beautés de convention ont un grand avantage pour les merveilleux à prétentions : c’est d’être une énigme ; or, prouver qu’on possède le mot de cette énigme, c’est prouver qu’on appartient au monde de la mode, au monde le plus élégant. Il y a des admirations qui sont une franc-maçonnerie dans une certaine société. Dire : « Madame une telle est une des plus jolies femmes de Paris, » c’est dire : « J’appartiens à la coterie dont elle est l’héroïne, et cette coterie se compose de tout ce qu’il y a de mieux ; j’en suis ! j’en suis ! nous sommes tous charmants !… » Et si vous répondez : « Mais votre madame une telle, je ne la trouve pas du tout jolie, moi ! » le dandy ne vous fait même pas l’honneur de combattre votre opinion ; il vous jette un regard dédaigneux et s’écrie naïvement : « Dans quel monde vivez-vous donc, mon cher ! » c’est-à-dire : « Vous n’êtes pas de notre société, de notre confrérie, puisque vous ne connaissez pas nos signes franc-maçonniques, et que vous n’avez pas fait serment de trouver belle cette femme… Dans quel monde vivez-vous ! »

Ceux qui venaient d’arriver tous ensemble parlèrent aussi tous à la fois ; les uns s’adressaient à la maîtresse de la maison, les autres accaparaient à droite et à gauche les auditeurs vacants ; dans ce bruit confus, on n’entendait aucune phrase