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MARGUERITE

vrir une chose noble et louable, et à qui on ne peut pas encore parler de sa découverte. Il ne devinait pas sa pensée, mais il comprenait à la gravité de son accent qu’il avait grandi dans son opinion ; que son rôle d’adorateur humble et soumis était terminé près d’elle ; que désormais elle ne serait plus pour lui une idole complaisante qui daignait le plaindre, l’assister, et payer d’une indulgence gracieuse un culte fervent, mais une femme reconnaissante et attachée, qui acceptait son dévouement avec conscience, qui le traitait d’égal à égal et qui lui rendait de l’amour pour de l’amour.

Il fut pendant quelques minutes bien heureux de ce changement, et de même que la vanité de plaire embellissait Marguerite, de même la fierté d’être aimé donnait à Étienne une séduction nouvelle. Jamais il n’avait paru plus charmant aux yeux de sa cousine. « Comme cet amour si noble, plein de franchise et d’enthousiasme est bien plus touchant, pensait-elle, que le marivaudage de M. de la Fresnaye ! » Et dans cette comparaison imprudente la supériorité restait à Étienne.

« Marivaudage ! » c’est ainsi qu’elle appelait la profonde tendresse qu’elle inspirait à Robert. Elle ne devinait pas que ce langage léger qu’il affectait près d’elle était une nécessité de sa situation : il lui fallait bien parler en riant de son amour, puisqu’on l’aurait fait taire à l’instant même s’il avait osé en parler sérieusement.

Étienne attendait avec impatience la fin de la soirée pour obtenir quelques mots de madame de Meuilles. Il voulait lui demander pourquoi elle semblait l’aimer plus respectueusement, et elle aurait été bien embarrassée de lui répondre… Mais tout le monde était encore dans le salon, quand on apporta à madame de Meuilles, sur un petit plateau d’argent, un billet non cacheté, sans adresse et négligemment plié en triangle.

— C’est de ma voisine, dit Marguerite ; et elle lut tout haut le billet :

« Je vous écris en secret… chut ! Madame de Kalergis est chez moi ; je n’ose rien lui demander, mais si vous venez m’aider à la tourmenter, elle nous jouera, pour vous, ce beau nocturne de Chopin que vous aimez tant. Venez sans crainte, je n’aurai personne ce soir ; il y a une première représenta-