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MARGUERITE

chercher les occasions de vous rencontrer ailleurs qu’au bois de Boulogne et à l’église… Mais j’ai appris vos projets, le retour de M. d’Arzac… et il a bien fallu me faire une philosophie… J’ai eu de la peine… car, au fait, je vous ai considérée comme ma femme pendant plus d’un an, et ce divorce auquel vous me condamnez me semble un procédé cruel, une amère ingratitude à laquelle je ne devais point m’attendre après tous les soins et tous les égards que j’ai eus pour vous… en idée.

Il dit cela en riant, mais l’accent de sa voix et son extrême pâleur trahissaient une émotion sérieuse. L’embarras de madame de Meuilles était pénible ; elle ne savait comment prendre ces étranges aveux ; elle les trouvait audacieux et déplacés ; cependant pouvait-elle se fâcher contre un homme qui lui révélait loyalement que pendant deux ans il avait eu l’espoir de l’épouser ; surtout quand cet homme était, par, sa naissance, sa fortune, sa distinction et sa supériorité, le mari idéal cherché par toutes les mères et rêvé par toutes les filles ?

M. de la Fresnaye, pour faire cesser cet embarras, qui pourtant ne lui déplaisait point, reprit d’un air hypocritement insouciant :

— Je peux vous dire tout ça à présent que c’est inutile ; j’ai l’air plus désintéressé. Aujourd’hui, d’ailleurs, j’ose ; je n’aurais pas Osé autrefois.

— Est-ce que, par hasard, vous avez la prétention d’être timide ? dit-elle avec un peu trop d’ironie.

— Moi ? certainement, madame.

— Vous ! gâté par les succès comme vous l’êtes, accoutumé à voir toutes les femmes se jeter à votre tête !

Elle prononça ces mots, qui n’étaient pas de son langage habituel, avec une malveillance qui n’était pas non plus dans ses manières… mais quand on ne se sent pas de force dans la lutte, on emprunte des armes.

— Je n’admets pas, répondit-il, que toutes les femmes se jettent à ma tête ; mais si cela était, ce serait une raison de plus pour me rendre timide auprès de celle qui ferait exception ; je me dirais dans ma modestie : « Il faut que je lui déplaise furieusement à celle-là, pour qu’elle ne fasse pas comme les autres.