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OU DEUX AMOURS

peu : « Vous ne vous trompiez pas, j’étais la femme qui vous convenait ; » mais il continua.

— Ce qui a achevé de me tourner la tête, c’est de vous voir à l’église…

— À l’église ! interrompit-elle ; je ne vous y ai jamais aperçu.

— Eh ! vraiment, c’est bien cela qui me séduisait. Vous étiez là, recueillie, fervente, absorbée par une dévotion que rien ne pouvait distraire. Je vous ai vue plus de dix fois à la Madeleine, et jamais vous n’avez soupçonné que votre inconnu était là… J’en étais bien heureux ; toute ma crainte était d’être remarqué. Parfois je me créais des dangers ; je me disais : « Si elle me voit, je ne l’aimerai plus… » Je restais inquiet, tremblant pendant tout le service, et j’étais bien joyeux en sortant de l’église, parce que vous ne m’aviez pas regardé.

— C’est effrayant, dit Marguerite, d’être observée ainsi traîtreusement !

— N’est-ce pas, cela fait frémir ! On va et vient en sûreté… et puis il y a un être qui vous poursuit mystérieusement de sa pensée audacieuse, de ses rêves les plus extravagants. Cela explique ces tristesses sans cause, ces impressions pénibles dont on ne se rend pas compte ; c’est quelqu’un qui vous déplaît qui pense à vous… Vous riez ?… Mais je suis sûr que c’est là l’explication de toutes les migraines ; cette conviction m’est venue l’autre jour en entendant gémir la jolie madame B…, que l’ennuyeux R… poursuit de son ennuyeux amour. Elle se plaignait d’un mal de tête affreux. « J’ai là, disait-elle en posant la main sur son front, j’ai là une douleur insupportable, je ne sais ce que c’est. — C’est R… qui pense à vous, lui dis-je, et qui vous évoque ; son ennuyeuse pensée vous magnétise, elle pèse sur votre esprit de tout son poids. » Elle m’a répondu très-gentiment : « Je crois que vous avez raison ; allez vite le distraire, ça me guérira… » Et elle a saisi cette occasion de me mettre à la porte avec beaucoup de grâce. Si vous avez foi au magnétisme vous devez comprendre celui-là ! Rappelez-vous depuis deux ans vos jours d’ennui et de souffrance, et accusez-moi, je pensais à vous ; ah ! j’y pensais bien souvent ; j’attendais avec impatience la fin de votre deuil pour