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MARGUERITE

Elle voulut changer de sujet de conversation et dit : — Vous ne m’avez pas expliqué pourquoi vous nous avez trompés, pourquoi vous avez refusé notre reconnaissance ?

M. de la Fresnaye parut heureux de cette question ; il semblait l’attendre avec impatience.

— Ah ! mon Dieu, madame, dit-il avec une grande simplicité, je vous répondrai bien franchement, c’est parce que toute cette aventure de sauvetage ressemblait d’une manière affreuse au premier chapitre d’un mauvais roman, et que je ne voulais point faire de roman avec vous ; d’abord, je ne suis nullement romanesque, il n’y a pas un homme moins sentimental que moi ; et puis, dussé-je vous fâcher, je vous avouerai que j’ai toujours eu, à propos de vous, qui êtes pourtant un être charmant, poétique, idéal, les idées les plus bourgeoises, les plus vulgaires. Quand je vous suivais au bois de Boulogne, tous les matins, il y a deux ans, peut-être vous êtes-vous imaginé que c’était par sentiment, par besoin d’aventures ?… point du tout, c’était pour quelque chose de très-maussade. Que c’est étrange ! moi qui ai toujours eu l’horreur du mariage, dès que je vous ai vue, j’ai pensé à me marier… Vous m’apparaissiez si languissante, si douce, vous sembliez si indifférente au monde, si ennuyée de ses niaiseries, si étrangère à ses vanités, que je me disais : « Cette jeune femme doit être bien aimable dans la simplicité de la vie, dans la retraite, à la campagne !… » Et le désir de vous emmener dans mon vieux château m’est venu tout de suite. Une femme d’une beauté admirable qui n’aime pas le monde ! c’était un trésor pour moi : car je ne voudrais pas enfermer ma femme malgré elle, et, d’un autre côté, je n’aimerais pas non plus à la promener, comme un sot, partout, aux courses, au spectacle, au bal… Le métier de mari, tel qu’on l’exerce aujourd’hui, c’est celui du marchand d’esclaves qui va présentant partout une belle femme, jusqu’à ce qu’on la lui prenne. Ce métier ne me tenterait nullement… Non, je voulais une femme très-belle, qui n’eût pas du tout de vanité…. Ah ! je ne retrouverai jamais cette merveille-là… Mais peut-être que je me trompe et que vous aimez le monde ?

— Non !… dit-elle vivement.

Elle aurait voulu reprendre cette réponse, qui signifiait un