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OU DEUX AMOURS

dans très-peu de temps tous pourrez habiter là, ce qui vaudra beaucoup mieux que de tout bouleverser pour vous établir ici très-mal, en mettant à la porte ce pauvre Gaston.

M. d’Arzac ne goûtera point ce projet, dit Robert : cela va encore retarder son mariage.

— De quinze jours au plus, reprit madame d’Arzac ; n’est-ce pas un grand malheur ?

Robert ne dit rien, mais son visage s’éclaira d’une joie suspecte ; son sourire était celui d’un homme qui voit ses calculs vérifiés. Heureusement encore, personne ne le regardait : madame d’Arzac faisait de la tapisserie, et sa fille, que cette conversation embarrassait cruellement, pour se donner une contenance, étudiait avec une attention d’antiquaire, dans tous ses détails, un cachet du moyen âge, très-artistement travaillé, qu’elle tournait entre ses doigts, et semblait rechercher dans l’histoire des temps passés pour quel personnage illustre avait été ciselée cette merveille.

Quand M. de la Fresnaye prit congé de madame de Meuilles, elle s’éveilla comme d’un songe pénible, et ce fut un grand soulagement pour elle que de l’entendre parler de Gaston : il rappelait la promesse qu’elle avait faite de le lui envoyer le lendemain. Ce nom expliquait l’oppression étrange qu’elle ressentait et l’accablement où elle était tombée. Elle avait éprouvé une vive émotion en présentant son fils à M. de la Fresnaye ; il était tout naturel que cette émotion l’eût fatiguée, brisée.

À peine Robert fut-il parti, qu’une indicible tristesse s’empara de Marguerite. À cette singulière oppression que lui donnait sa présence succéda un découragement profond. Elle était comme une personne subitement abandonnée, et toutes les langueurs de l’isolement tombèrent comme un fardeau sur elle.

Elle ne pouvait parler, et elle redoutait d’entendre la voix de sa mère ; elle comprenait vaguement que ce qu’allait dire madame d’Arzac lui ferait mal. Depuis une demi-heure, chacune des paroles de sa mère l’avait blessée sans qu’elle pût savoir pourquoi. Madame d’Arzac avait donné à M. de la Fresnaye des commissions pour l’Italie ; elle avait discuté des projets d’arrangements qui avaient rapport au prochain mariage de Marguerite, et par une bizarrerie inexplicable, ces deux