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MARGUERITE

qu’il aurait voulu jeter les domestiques par la fenêtre et pouvoir serrer Marguerite dans ses bras pour la remercier. Elle comprit qu’il fallait venir à leur secours, son instinct lui dit qu’il fallait rire un peu pour briser cette contrainte trop pénible. Alors, d’une main tremblante, elle prit une corbeille de fruits sur la fable, elle la présenta à M. d’Arzac, et contrefaisant l’accent du Cid en parodiant ses sublimes paroles :

— Mangez, mon noble époux ! dit-elle avec le plus gracieux sourire.

Mais Étienne était trop ému.

— Je mangerai demain, répondit-il en essayant de sourire aussi.

On retourna dans le salon. Là, Étienne tomba aux genoux de Marguerite.

— Jugez de la joie que vous me donnez ! s’écria-t-il ; depuis deux jours je me dis : Si elle m’aimait, elle aurait cette idée-là.

— Eh bien, je l’ai eue cette idée-là ! donc je vous aime, donc vous ne vous plaindrez plus.

— Non, non, je suis bien heureux

Comme il disait, cela, on entendit un sanglot déchirant retentir tout au bout du salon, et l’on découvrit le pauvre Gaston pleurant sur un canapé et caché par de grands fauteuils plus hauts que lui.

Marguerite s’élança vers son fils, et, le pressant sur son cœur, lui demanda vite pourquoi il avait tant de chagrin. Il pleura longtemps sans pouvoir parler. Enfin, à travers ses sanglots, on distingua cette plainte qui était toute l’histoire de ses griefs contre Étienne :

— On me l’avait bien dit, que maman ne m’aimerait plus quand elle se remarierait… Elle va se remarier et elle me renvoie !

— Jamais, mon pauvre Gaston ! jamais ! Je ne te renvoie pas… la preuve, c’est que dans notre nouvel appartement, tu auras une belle chambre avec une terrasse.

— Il y a une terrasse ? dit l’enfant déjà consolé.

— Sur laquelle je te ferai faire une volière, dit Étienne, si tu veux me prêter, pour deux mois, ta petite chambre verte qui est là.