Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
MARGUERITE

naïf et bonhomme qui était suspect ; un portier est, en fait d’informations, le contraire d’un sous-préfet : si l’un est placé de manière à ne rien savoir, comme on l’a déjà prétendu, l’autre est placé de façon à ne rien ignorer ; un portier sait toujours, et quand il répond : Je ne sais pas, c’est qu’il a promis de ne pas dire. Mais M. d’Arzac était en colère, et un homme furieux n’a plus la clairvoyance qu’il faut pour pénétrer le machiavélisme d’un portier.

Étienne parcourut l’appartement, l’âme navrée de tristesse ; une seule pièce, la plus inutile, une antichambre, était à peu près terminée ; mais dans le salon, dans la chambre à coucher, tout était à faire. Il y avait pour deux grands mois de travail avant que ces chambres fussent habitables.

Étienne regarda ce nouveau retard comme, un présage, une décourageante superstition s’empara de son esprit : il se persuada que cet obstacle lui était fatal et que son mariage était impossible. Son chagrin était si profond, qu’il n’en voulut pas même parler ; mais ses traits abattus, son air sombre, l’altération de sa voix, révélaient le triste sentiment qu’il voulait cacher, et Marguerite, qui l’aimait et qui savait que la crainte de voir son mariage retardé était la seule inquiétude de cette pensée toute à elle, Marguerite le devina… Le lendemain, pendant l’heure qu’Étienne passait avec son père, elle alla elle-même visiter ce malheureux appartement, et sa seule vue lui expliqua tout ce qu’elle avait deviné.

Cet appartement n’était réellement habitable pour personne. Il eût été mortel pour Marguerite, encore si faible et toujours menacée. Au bout de dix minutes, elle n’y pouvait même plus rester, tant l’odeur de la peinture, de la térébenthine lui faisait de mal. Selon ses idées, elle ne pourrait y venir raisonnablement avant quatre ou cinq mois.

Alors elle se représenta quel avait dû être le désespoir d’Étienne en voyant ces murs dépouillés, ces peintures effacées, ces dorures cassées, ces plafonds noircis, toutes ces choses qui signifiaient pour lui des heures d’attente et d’angoisses ; et elle trouva, dans l’ardeur de sa pitié, le courage d’une résolution héroïque. D’avance, elle se réjouit du bonheur que cette résolution allait donner à Étienne ; mais elle se pro-