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MARGUERITE

dételait les chevaux, le valet de chambre, qui était sur le siège, descendit lestement et entra dans la cuisine de l’hôtel, comme une ancienne connaissance.

— Ah ! c’est vous, dit une voix ; où allez-vous donc ?

— Nous retournons à Paris.

— Vous n’allez donc plus en Italie ?

— Non, on a changé d’idée.

— Avez-vous fait bonne chasse là-bas, à Mazerat ?

— Oui, nous avons tué des sangliers, des loups.

— Et votre beau chien, je ne le vois pas ?

— Pauvre bête ! il a été mordu par une méchante louve, et de crainte de malheur, on lui a flanqué un coup de fusil. Ce n’est pas moi, c’est le garde. Je n’ai pas voulu me mêler de cette affaire-là… Ça me crevait le cœur.

À ces mots, Marguerite, à moitié endormie, à moitié lucide, se leva vivement et courut vers la fenêtre ; mais comme elle entr’ouvrait le volet, le postillon cria : « En route ! » et la voiture partit rapidement. Marguerite ne vit rien qu’une calèche poudreuse dans un tourbillon de poussière.

Elle appela la fille d’auberge.

— Connaissez-vous ce voyageur qui vient de changer de chevaux ?

— Oui, madame.

— Qui est-ce ?

— C’est un monsieur qui a déjà passé par ici il y a un mois.

— Comment se nomme-t-il ?

— Je ne sais pas, madame.

— Votre maître le sait ?

— Non, madame ; ce monsieur n’est pas venu à l’hôtel ; c’est son domestique seulement qui a parlé avec nous. Il avait un bien beau chien de chasse ; il paraît qu’on a été obligé de le tuer.

Telle est la vie ! Ce voyageur était, pour cette fille, un monsieur qui avait un domestique et un chien, et pour Marguerite, cet inconnu était le sauveur de son fils. Elle se rappela ce mot : « Vous n’allez donc plus en Italie ?… » Ceci était un indice certain ; M. d’Héréville devait aller en Italie, donc c’était