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MARGUERITE

le sauvant. Il ne se dit pas positivement : « Elle n’aime pas celui qui m’a secouru, donc elle ne m’aime pas ; » il ne pensait pas cela, mais il le sentait. Sa tendresse devint prudente. C’est un jour funeste pour un enfant que celui où ses grands parents cessent d’être infaillibles ; et ce premier instant de rébellion présage souvent une guerre sérieuse.

Depuis ce moment, Gaston avait des airs rêveurs, des accès d’impatience soudainement réprimés, des réticences pleines de sagesse qui intriguaient singulièrement Marguerite.

— Pourquoi donc, lui dit-elle un matin en jouant dans le parc avec lui, pourquoi donc es-tu fâché contre ma mère ?

— Parce qu’elle a voulu vous faire croire que j’avais menti.

— Non, elle a dit seulement que tu t’étais trompé.

— Pourquoi ce vilain garde a-t-il nommé M. de la Fresnaye à moi et au jardinier, et pourquoi après a-t-il soutenu que c’était un autre ?

— Parce que c’était la vérité.

— Non, c’était pour faire plaisir à grand’maman : puisqu’il m’a emmené dans la laiterie, et que là il m’a dit en cachette : « Il ne faut pas dire M. de la Fresnaye, mon petit ami ; vous voyez bien que cela fâche madame. »

— Eh ! mais, qu’est-ce que cela te fait, à toi, que ce soit celui-là ou un autre ?

— J’aime mieux que ce soit M. de la Fresnaye !

— Tu ne le connais pas.

— Je ne lui ai jamais parlé, mais je le connais. C’est un jeune homme qui a beaucoup de chevaux ; il a à Paris un grand jardin où il y a des tortues, des gazelles et des jets d’eau magnifiques… On voit là une boule d’or que l’eau fait sauter en l’air très-haut et qui ne tombe jamais. C’est très-joli… Eh bien, maman, si c’était lui qui m’eût sauvé, il me mènerait voir tout ça ! J’aime mieux que ce soit lui !

Voilà d’excellentes raisons, reprit Marguerite en souriant, et je comprends que ce serait un sauveur très-amusant.

— Elle riait, mais elle était désappointée ; elle s’était imaginé que l’entêtement de Gaston venait d’une certitude, ce n’était qu’une préférence… Elle ne croyait plus tant à ses affirma-