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OU DEUX AMOURS

— Mais le chien ! grand’maman, le chien !

— Eh bien, le chien appartient à M. d’Héréville.

— C’est M. de la Fresnaye qui l’a fait tuer…

— Mais non ; tu confonds, mon enfant.

— Je sais bien ce que le garde champêtre a raconté.

— Et moi aussi ; je le quitte ; il m’a donné les détails les plus précis. Il reviendra demain ; tu pourras lui parler, Marguerite.

Madame d’Arzac, en disant toutes ces choses, avait un aplomb trop grand, il y avait un ton d’autorité dans ses affirmations qui prouvait une résolution prise d’avance ; c’était suspect, et l’enfant trahit ses soupçons instinctifs en disant :

— Au reste, moi, on ne pourra pas me tromper ; si je le vois jamais, je le reconnaîtrai bien.

Marguerite était indécise ; elle ne savait lequel des deux il fallait croire ; de tout cela elle ne devinait clairement qu’une chose, c’est que madame d’Arzac ne voulait absolument pas que Robert de la Fresnaye fût le sauveur de son fils.

Le lendemain elle fit venir le garde champêtre, elle l’interrogea ; il répondit que l’enfant s’était trompé, que celui qui l’avait sauvé était M. d’Héréville, un jeune homme qui n’avait passé au château de Mazerat que quelques jours en se rendant en Italie.

Il était évident que cet homme répétait une leçon, que ce récit embrouillé était un mensonge, imaginé pour lui faire perdre la trace ; et ces précautions eurent l’effet qu’elles devaient avoir, elles excitèrent vivement la curiosité de Marguerite. Une ligue muette s’établit entre elle et son fils, dont les convictions n’avaient point changé ; et comme l’enfant, forcé de se taire, la regardait avec de grands yeux étonnés qui semblaient dire : — Vous croyez ça, maman !… Elle lui répondit tout bas en l’embrassant : — Tais-toi, nous le chercherons ensemble.

Comme les enfants sont étranges ! à dater de ce jour Gaston perdit la haute considération qu’il avait pour sa grand’mère ; il se défia d’elle, il observa, il comprit qu’il y avait quelque chose qu’elle aimait plus que lui, puisque sa reconnaissance n’était pas tout empressée pour l’homme qui s’était dévoué en