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OU DEUX AMOURS

tout bas, dans le plus profond secret de sa vanité : « C’est bien aimable à lui d’être ici, car il pourrait être là. » Et … voulait dire « chez mon orgueilleuse rivale, » car une rivale, si maltraitée, si misérable qu’elle soit, est toujours à vos yeux une orgueilleuse rivale. Enfin, il avait un tel charme, il réunissait tant de perfections séductrices, il était si complètement supérieur à tous, qu’il rendait les femmes modestes !… Elles ne se trouvaient jamais assez belles, jamais assez spirituelles… (excepté les sottes et les laides, mais de celles-là il ne s’occupait pas), jamais assez élégantes pour lui. Être digne de lui !… cela paraissait un rêve impossible… comme si un homme n’aimait que la femme qui est digne de lui ! Eh ! l’amour ! il s’inquiète bien vraiment d’être mérité… au contraire, ça l’ennuie… À ces femmes éblouies, ce célèbre héros de roman faisait l’effet de ces trop riches parures qu’on porte avec orgueil les jours de grande fête, mais que l’on sent bien qu’il ne faut point porter tous les jours.

Ce qui frappait d’abord dans la physionomie de Robert de la Fresnaye, c’était un contraste singulier, le mélange de deux expressions qui semblent s’exclure : c’était un regard d’une insoutenable insolence avec un sourire d’une ineffable bonté. Ordinairement, dans les belles physionomies, on remarque le contraire : le regard est tendre, le sourire est malin. Chez M. de la Fresnaye, le regard et le sourire ne semblaient pas appartenir à la même personne ; il y avait toute une histoire d’origines diverses dans cette anomalie piquante ; c’était la lutte de deux natures hostiles réunies dans une même personne. Il y avait du ciel et de l’enfer dans cette étrange créature ; on aurait dit le fils d’un démon et d’un ange ; c’était bien un peu cela : c’était l’enfant du vice et de la vertu, le fils d’un roué et d’une sainte.

Et son existence tout entière était comme celle de Robert le Diable, son bizarre patron, dans le combat de ces deux natives influences. Il commençait une action à la mode de son père, c’est-à-dire, en franc mauvais sujet… et puis il la terminait tout à coup généreusement, héroïquement, à la façon de sa mère, en noble cœur qu’il était. Ses méchants desseins tournaient en bonnes actions. Le souvenir de sa mère venait tou-