VI.
Qu’était-ce donc que ce Robert de la Fresnaye, pour exciter de telles alarmes et pour oser montrer une telle audace ?
Robert de la Fresnaye ?… nous l’avons déjà dit, c’était tout bonnement l’homme à la mode du jour. C’était le plus brillant, le plus élégant, le plus beau, le plus spirituel et le plus, riche — n’oublions pas cela — de tous les jeunes gens de Paris, le héros de vingt aventures charmantes, le séducteur malgré lui, toujours vainqueur, jamais coupable, ou du moins jamais accusé ; un nouveau marquis de Létorières, un don Juan bénévole, un Lovelace généreux ; il avait résolu ce problème, que nul avant lui n’avait même tenté de résoudre : Être adoré sans être maudit… — Son secret ? dites son secret !… Le voici : il n’avait jamais déçu un seul cœur ; il n’avait jamais attrapé aucun amour-propre ; bref, il avait fait beaucoup de victimes, mais jamais une dupe ! et il était resté l’orgueil, le beau souvenir, le regret chéri de toutes les femmes qui l’avaient aimé. Il ne s’était jamais posé en héros de roman, il n’avait jamais tendrement débité ce vulgaire mensonge : « Vous seule et pour la vie ! » Il ne faisait point l’homme sentimental ; il n’avait pas de prétention au parfait amour ; et cependant son amour était irrésistible : on lui plaisait, il le disait naïvement, et cela seul lui suffisait pour plaire.
Quant à la fidélité, il avait un système ; il prétendait que cela ne le regardait pas, que cela regardait la femme aimée, que c’était à elle à s’arranger de manière qu’il lui restât fidèle… Système ingénieux que bien des gens adoptent en fait de gouvernement ; eux aussi, ils prétendent que c’est au gouvernement à s’arranger de manière qu’ils lui soient fidèles.
Il faut reconnaître aussi que l’excès même de sa gloire servait d’excuse à Robert. Il était tellement recherché, poursuivi, tourmenté, qu’on lui pardonnait d’être rare ; bien mieux, on lui savait gré d’être libre ; et lorsqu’il vous donnait un moment, une minute, une seconde, on l’acceptait comme un généreux sacrifice, comme un acte de dévouement flatteur. On se disait