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OU DEUX AMOURS

par le regard brûlant et presque menaçant d’un magnétiseur présomptueux. Voilà comment les choses s’expliquent !

La sincère ignorante avait éprouvé ce jour-là cette commotion électrique toute-puissante, fatale, que les vieux faiseurs de romans appelaient dans leur poétique langage, « le coup de foudre », et elle était maintenant calme comme s’il ne s’était rien passé dans sa vie.

Mais pouvait-elle le reconnaître, ce terrible effet ?

Non… Pour le reconnaître, il faut l’avoir éprouvé, et quand on l’a éprouvé une fois, on n’a plus besoin de son expérience, car on ne l’éprouve plus.

Marguerite écouta avec un véritable intérêt les détails qu’Étienne lui donna sur sa visite chez leur notaire ; elle-même dicta ce qu’il fallait répondre à ses hommes d’affaires de Paris ; elle-même demanda à avancer de quelques jours le départ de toute la famille. Elle voulait surveiller les travaux commencés dans le nouvel appartement qu’elle devait habiter après son mariage.

Étienne était radieux ; jamais il ne s’était vu si près de son bonheur.

— Nous partirons mercredi, c’est cela ; et nous serons à Paris samedi soir !

Madame d’Arzac souscrivit à ce beau projet, et l’on se sépara gaiement ; et Marguerite s’endormit en songeant à Étienne, à ce dévouement de toutes les heures, à cette passion si profonde, si constante qu’il lui témoignait depuis tant d’années. Elle se dit que la joie le rendait encore plus spirituel et plus séduisant, et qu’elle était la plus heureuse des femmes.

Or, pendant ce temps, Robert de la Fresnaye faisait aussi ses projets de bonheur. Plus clairvoyant, il savait lire dans son cœur : lui aussi avait reçu le coup de foudre… mais, en homme d’expérience, il l’avait aussitôt reconnu. « Je n’ai jamais éprouvé cela, donc c’est cela. » Et, avec la plus douce confiance, malgré les obstacles, malgré la duchesse, malgré les fiançailles, les engagements contraires, malgré tout, il se disait : « Madame, de Meuilles est la femme de mes rêves, je l’épouserai ! »