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MARGUERITE

bien concevable cependant… en rentrant dans son atmosphère habituelle, elle avait retrouvé toutes ses pensées accoutumées ; son imagination, un moment fourvoyée, était revenue dans le bon chemin et s’élançait joyeuse et confiante, sans souvenir du faux guide qui l’avait un moment égarée ; son cœur retrouvait ses instincts, il s’éveillait d’un mauvais rêve, et elle regardait en souriant fuir, fuir à jamais le fantôme importun qui l’avait effrayée vainement.

En ôtant son chapeau, son manteau, sa robe et tout son attirail de visite, elle avait ôté le fardeau que l’idée de cette visite lui avait laissé. En se retrouvant dans cette demeure chérie, où depuis si longtemps elle aimait Étienne, où chaque objet lui parlait de lui, de son amour, de son espérance, elle oublia complètement que la pensée d’un autre amour avait pu un seul instant l’inquiéter. Robert de la Fresnaye !… Eh ! vraiment, elle ne savait déjà plus son nom… Et son image, qui naguère la poursuivait… elle était entièrement effacée… Son image ! elle n’aurait osé pénétrer dans cette chambre-là, où le souvenir d’Étienne régnait en maître : quel audacieux profanerait le sanctuaire en présence du dieu !

Cela arrive souvent, n’est-ce pas, d’être rendu à l’existence ordinaire, oubliée pendant un jour, un mois même, par les objets qui frappent habituellement nos yeux ? On se réinstalle dans son caractère en même temps qu’on se réinstalle dans son logis. On se sent repris par son mobilier ; on a pensé souvent à telle chose en regardant tel tableau, telle fleur de la tapisserie… et malgré soi, l’aspect de ce tableau, de cette fleur, vous renvoie à l’esprit cette même pensée ; les idées vous rentrent au cœur par les yeux. Aussi, lorsqu’on veut sincèrement oublier quelqu’un qu’on a aimé dans une maison, il faut déménager au plus vite, et faire une vente… car tous les objets qui vous entouraient, vos fauteuils, vos glaces, vos livres, votre encrier, votre table à ouvrage, toutes ces choses que vous regardiez, aux douces heures où vous visitait sa pensée, où vous enivrait sa présence, toutes ces choses-là sont les éternels complices de son souvenir.

Heureusement pour Marguerite, il n’y avait pas un seul meuble de son élégant salon qui lui rappelât M. de la Fres-