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MARGUERITE


V.

Quand Marguerite et sa mère revinrent à la Villeberthier, M. d’Arzac était déjà de retour. Il courut au-devant de Marguerite et lui offrit le bras pour monter l’escalier du perron ; mais à peine eut-il jeté les yeux sur elle, que toutes ses craintes se réveillèrent : le visage de Marguerite, profondément altéré, annonçait une émotion pénible et violente ; elle souriait, mais son sourire était douloureux ; son regard était plein de tendresse, mais cette tendresse même avait quelque chose de suppliant qui faisait rêver.

— Comme elle est émue ! comme elle est pâle ! pensa Étienne.

Elle se hâta de répondre à cette pensée voilée :

— J’ai eu tort de sortir, dit-elle ; cette visite m’a fatiguée.

— J’en ai peur, dit madame d’Arzac ; Marguerite, crois-moi, sois raisonnable, ne dîne pas à table, va te reposer : nous irons te tenir compagnie dans ta chambre.

Marguerite saisit avec empressement cette occasion de s’éloigner, et Étienne trouva cette obéissance alarmante.

— Il faut, se dit-il encore, qu’elle soit bien souffrante ou bien préoccupée. Peut-être lui a-t-on dit de moi quelque chose qui l’a fâchée… Mais non, elle n’avait pas l’air de m’en vouloir ; au contraire, elle semblait me demander pardon… Que s’est-il donc passé ? qui a-t-elle rencontré chez la duchesse ? L’inconnu qui a sauvé Gaston… le souvenir de ce mystérieux personnage la poursuit… Oh ! il y a un secret entre nous, et ce secret, c’est un malheur !

Et le démon de l’inquiétude se mit de nouveau à le tourmenter.

Pendant tout le temps que dura le dîner, le malheureux jeune homme chercha vainement à prononcer cette simple question : « Y avait-il du monde chez madame de Bellegarde ? » Mais sa voix était si troublée, qu’il avait peur d’être deviné dans ses nouvelles craintes ; il redoutait la sagacité de madame d’Arzac. Par moments, il espérait que cette question serait