Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 3.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.
41
OU DEUX AMOURS

Robert était impassible… Ou il disait vrai, ou il était depuis bien longtemps établi dans ce mensonge.

Madame d’Arzac, un peu rassurée, se leva et dit adieu à la duchesse. On pressa les compliments d’usage ; la duchesse avait hâte d’interroger M. de la Fresnaye. Madame d’Arzac avait hâte d’interroger sa fille : le moment des explications était venu.

Dès que madame d’Arzac fut seule dans la voiture avec Marguerite :

— Tu le connaissais donc, ce fat ! dit-elle vivement ; pourquoi m’as-tu dit que tu ne l’avais jamais vu ?

— Mais, ma mère, je ne le connais pas du tout.

— Alors pourquoi t’es-tu troublée ainsi à son arrivée ?

— C’est un enfantillage qui n’a pas le sens commun. Pendant que vous étiez allée voir le petit théâtre avec madame de Bellegarde, j’étais dans le salon, et là, me croyant seule, j’ai ôté mon chapeau, j’ai défait mes cheveux, je les ai relevés, je me suis recoiffée entièrement, sans me douter qu’il y avait quelqu’un dans la salle de billard et qu’on me regardait faire ma toilette à travers la glace sans tain qui sépare les deux salons ; et quand M. de la Fresnaye est venu, j’ai été un peu confuse en pensant que je m’étais si tranquillement recoiffée devant lui.

Madame d’Arzac se contenta de cette explication.

— Au fait, pensa-t-elle, c’est peut-être ça !

Mais Marguerite était loin d’être si facilement contentée ; des remords vagues l’agitaient ; elle s’en voulait de sa tristesse ; elle se demandait quel événement sinistre venait de bouleverser son existence. À mesure qu’elle s’approchait de la Villeberthier, la pensée d’Étienne lui revenait au cœur, et elle ne pouvait s’expliquer pourquoi ce nom chéri lui causait une si profonde inquiétude. Cependant elle désirait revoir Étienne ; elle croyait que sa présence seule dissiperait tous ces nuages ; un souvenir l’obsédait, une image impérieuse la tourmentait, et elle sentait que cette image n’oserait lui apparaître devant Étienne, devant ce protecteur bien-aimé. « Pauvre Étienne ! se disait-elle, il me tarde de le revoir. Que je l’aime !… »

Oh ! sans doute, elle l’aimait encore, elle l’aimait toujours… mais elle le plaignait déjà !