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MARGUERITE

Le premier mouvement de madame de Bellegarde fut de se retourner vers M. de la Fresnaye, pour le prier d’aller ouvrir la porte à cet hôte indiscret ; mais M. de la Fresnaye semblait tellement troublé, ses traits étaient si péniblement contractés, sa physionomie était si mélodramatiquement sombre… ah ! mon Dieu, qu’il n’y avait pas moyen de demander un pareil service à un homme qui avait cette figure-là.

La duchesse sonna un domestique, et, dès que la porte fut ouverte, le petit chien s’élança dans le salon. Oh ! comme cet aimable importun fut bien reçu ! Chacun en était arrivé à ce moment des émotions puissantes où l’on commence à se reconnaître, à cette période de l’embarras où l’on s’aperçoit qu’on est embarrassé et où l’on éprouve le besoin de se chercher une contenance. On s’occupa de ce vilain petit chien avec enthousiasme. Madame de Bellegarde raconta comment il lui avait été donné par le duc de Devonshire ; Marguerite déclara qu’elle n’avait jamais rien vu de si joli ; madame d’Arzac prétendit que les chiens avaient plus d’esprit que les hommes, et là-dessus elle raconta des traits d’esprit de petits chiens à faire honte à M. de Voltaire et à Beaumarchais eux-mêmes. Enfin, il n’y eut pas jusqu’à M. de la Fresnaye qui ne tendît son gant à ce cher Joujou et qui ne daignât le caresser de sa main encore tremblante.

— À propos, dit la duchesse à M. de la Fresnaye, est-ce vrai ce qu’on vient de me dire, que vous avez fait tuer un de vos chiens de chasse, le plus beau, le pointer ?

— Non, madame la duchesse, répondit Robert, je n’ai pas commis un si grand crime. D’où me vient cette accusation ?

— Ce n’était pas un crime, si ce chien avait été mordu…

C’en était trop, Marguerite frissonna. Mais Robert détruisit bientôt ses soupçons.

— Je vois ce que c’est, reprit-il, on m’a confondu avec un des amis de Georges de Pignan, à qui il est arrivé, en effet, une aventure de loups effrayante… je ne sais plus son nom ; mais moi, je n’ai nullement à me plaindre des bêtes féroces.

— Je respire, pensa madame d’Arzac, ce n’est pas lui !

— Il ment ! pensa Marguerite ; et elle osa lever les yeux sur M. de la Fresnaye pour lire la vérité dans ses regards ; mais