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OU DEUX AMOURS

— Je vous remercie, reprit madame d’Arzac ; nous irons nous-mêmes à Paris à la fin du mois.

— Comment ! interrompit la duchesse, la noce ne se fera pas à la Villeberthier ?

— Non ; je l’aurais bien préféré ; mais mon beau-frère, le père de mon neveu, désire assister à la cérémonie, et il est trop goutteux pour penser à entreprendre un si long voyage.

Marguerite ne put s’expliquer le sentiment qu’elle éprouvait, mais elle en voulait à la duchesse d’avoir parlé de son prochain mariage ; il lui semblait que c’était une méchanceté.

En effet, les femmes les plus généreuses ont un instinct de vengeance qui les inspire malgré elles. Madame de Bellegarde n’avait en apparence aucun motif de se plaindre de M. de la Fresnaye, et cependant elle se sentait vaguement offensée ; et elle avait choisi, comme à dessein, le sujet de conversation qui devait le plus lui déplaire.

À cette nouvelle du prochain mariage de Marguerite avec son cousin, la figure de M. de la Fresnaye prit une expression de colère si violente, et trahit une si étrange indignation, que madame d’Arzac et Marguerite en furent épouvantées ; il regarda Marguerite avec une audace incroyable, et dans ce regard éclataient le reproche et le mépris. Il semblait : dire « Folle et imprudente femme qui se lie à jamais avec un autre, et qui est née pour moi ! »

Marguerite comprit ce langage ; mais madame d’Arzac, révoltée de tant d’impudence, ne vit dans ce courroux que le dépit d’un envieux. Elle pensa que M. de la Fresnaye détestait Étienne d’Arzac, qu’il était jaloux de lui voir faire un beau mariage et qu’il en voulait à sa fille de l’avoir choisi.

La duchesse sentait son cœur se serrer, sans pouvoir deviner d’où lui venait tant de crainte. Un silence agité régnait dans cette singulière réunion ; chacun était préoccupé si vivement que personne ne songeait à parler. Tout à coup, on entendit frapper à la porte, puis gratter avec impatience, puis gémir, puis japper, puis aboyer franchement : c’était le petit chien de la duchesse, enfant gâté qui ne se gênait nullement pour égayer les situations solennelles et qui voulait entrer dans le salon.