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MARGUERITE

un an, la suivait à cheval au bois de Boulogne d’une manière si romanesque et avec une exactitude si étrange.

Elle avait d’abord pensé que c’était quelque aventurier, coureur de riches veuves et d’héritières, qui comptait sur sa jolie figure pour se faire adorer, et sur son audace et sa persévérance pour se faire épouser. Marguerite, qui était en deuil, allait au bois de Boulogne aux heures solitaires et dans les allées les plus retirées. Elle se promenait là de onze heures du matin à midi ; comment s’imaginer que M. de la Fresnaye, cet élégant à grandes prétentions, venait comme elle, à l’heure des vieillards et des convalescents, au bois de Boulogne ? Mais elle ne pouvait s’y tromper, c’était bien lui, et c’était une chose bien effrayante de découvrir que c’était lui.

Eh quoi ! depuis un an, Robert de la Fresnaye était occupé d’elle ! Ce personnage mystérieux qui la poursuivait de ses pensées muettes, de ses regards à la fois, indiscrets et timides, c’était Robert de la Fresnaye !

Son inconnu… — quelle est la femme qui n’a pas un adorateur inconnu ?… — son inconnu était l’homme le plus célèbre de tous les merveilleux de Paris ; son soupirant inavoué, c’était l’homme à bonnes fortunes par excellence, l’homme à la mode, le héros du jour…

Quelle découverte ! il aurait fallu un bien superbe aplomb pour supporter sans émoi cette clarté soudaine et terrible, et madame de Meuilles n’était pas assez aguerrie contre de telles épreuves pour dissimuler prudemment l’impression qu’elle en ressentait.

Madame d’Arzac regardait sa fille d’un air stupéfait et irrité. La duchesse regardait Marguerite d’un air étonné et inquiet.

Robert regardait madame de Meuilles d’un air fier et presque heureux. Et la pauvre jeune femme se sentait mourir de ce triple regard qui dardait sans pitié sur sa pâleur.

La situation n’était plus tenable. La duchesse, en bonne maîtresse de maison, voulut y mettre un terme.

— Si vous avez des commissions pour Paris, dit-elle, M. de la Fresnaye se chargera de vos ordres, et M. de Bellegarde, qui reviendra dans huit jours, pourra vous rapporter ce que vous aurez demandé.