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OU DEUX AMOURS

çait aussi à devenir envieuse : une femme qui n’a pas une jolie main n’est pas une femme, et elle s’apprêtait à reconnaître cette fâcheuse imperfection… ! Mais, inutile espoir ! la duchesse avait une main de statue ! Ô rage ! il fallait encore admirer !

Madame d’Arzac commençait aussi à s’impatienter pour une autre cause. Elle avait espéré voir M. de la Fresnaye, et M. de la Fresnaye ne paraissait point.

— Vous avez eu beaucoup de chasseurs, à Bellegarde, ces jours-ci, dit-elle ; est-ce que vous êtes seule maintenant ?

— Presque seule, répondit la duchesse ; je n’ai plus ici qu’une de mes parentes, et M. Baudoin, que vous avez vu tout à l’heure.

— Un homme de goût, reprit madame d’Arzac ; cette salle de spectacle lui fera honneur : on dirait un vrai théâtre.

— M. Baudoin, c’est l’architecte, pensa Marguerite ; est-ce lui qui m’a vue ? Oh ! non, ces yeux-là ne sont pas des yeux d’architecte… Un peintre… un poëte peut-être… mais un architecte a l’air plus raisonnable. Un architecte qui aurait ces yeux-là ne pourrait pas courir sur les toits.

— Comment ! vous êtes toute seule ? reprit madame d’Arzac avec un accent d’incrédulité : et vos Parisiens ?

— Ils sont tous repartis, répondit la duchesse.

Au même moment M. de la Fresnaye entra dans le salon ;

— Ou ils vont partir, ajouta-t-elle un peu confuse ; M. de la Fresnaye nous quitte ce soir pour retourner à Paris.

Madame d’Arzac ne remarqua point l’air embarrassé de la duchesse, elle qui était venue pour l’observer… Que se passait-il donc qui la captivait au point de lui faire oublier son rôle d’observateur si laborieusement malveillant ?

Il arrivait que Marguerite était elle-même tremblante, pâle et déconcertée à la vue de M. de la Fresnaye, et que sa mère ne pouvait plus s’intéresser qu’à elle ; remplie d’inquiétude, elle s’efforçait de deviner la cause de ce trouble.

Cette cause, la voici.

Marguerite avait reconnu les deux yeux qui l’avaient regardée dans la glace ; mais, bien plus, elle avait reconnu dans Robert de la Fresnaye le jeune homme mystérieux qui, depuis