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OU DEUX AMOURS

qu’on allait se réfugier et s’étendre nonchalamment les lendemains de bal, de chasse ou de comédie, et après les grandes parties de campagne. C’est là que les amis de la maison, les habitués du château passaient de douces heures à se rappeler les solennités ou les plaisirs de la veille, et à médire, avec une émulation édifiante, de ceux des invités déjà partis, qui avaient, pendant trois ou quatre jours, étalé si pompeusement dans ce beau séjour leurs faiblesses, leurs ridicules et leurs manies.

Quand Marguerite se sentit un peu reposée, elle pensa que son chapeau devait être tout de travers sur sa tête ; elle s’était heurtée à la capote de la calèche en descendant si maladroitement ! Elle se regarda dans la glace, sourit, et vit que la paille de son chapeau était tout à fait cassée : ces maudites pailles de riz n’en font pas d’autres ! Elle ôta vite son chapeau pour le rétablir dans sa forme régulière ; mais, en l’ôtant, elle défit son peigne, et ses lourds cheveux tombèrent par flots sur ses épaules. Elle ne put retenir un mouvement d’impatience en voyant qu’il lui fallait se recoiffer complètement. Pour relever ses cheveux, il lui fallut aussi ôter son manteau ; c’était toute une toilette à refaire. Elle se hâta, pour l’avoir terminée avant l’arrivée de la duchesse. Comme elle était debout devant la cheminée, rassemblant avec effort dans sa petite main la masse de ses cheveux… tout à coup elle s’arrêta et poussa un cri… elle avait aperçu dans la glace deux grands yeux qui la regardaient. Elle se retourna effrayée, mais elle ne vit personne dans le salon. Comment expliquer ce mystère ? En face de la cheminée était une grande glace sans tain qui donnait sur la salle de billard ; sans doute quelqu’un avait traversé cette salle et avait regardé Marguerite en passant. « C’est peut-être le duc de Bellegarde ? pensa-t-elle. Non, il serait venu vers moi ; et d’ailleurs le duc n’a pas ces yeux-là… »

Peu d’instants après, la duchesse vint avec madame d’Arzac ; Marguerite avait eu le temps de remettre son chapeau et ses gants, mais elle était encore troublée de l’apparition mystérieuse ; l’idée que quelqu’un l’avait vue se recoiffant si complaisamment la contrariait ; elle aurait voulu savoir qui l’avait regardée ainsi, et cependant elle craignait de l’apprendre. Un