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MARGUERITE

La route était facile, unie ; l’on arriva au bout de deux heures. Le mouvement de la voiture et l’effet du grand air étourdirent tellement Marguerite, qu’elle faillit tomber en descendant le marchepied. Madame d’Arzac, la voyant si faible, s’empressa de la conduire dans le salon, où elle la fit asseoir. Un domestique vint dire que la duchesse était dans la nouvelle salle de spectacle, avec son architecte.

— Je vais la rejoindre, dit madame d’Arzac ; toi, reste là, Marguerite, repose-toi ; je vais admirer enfin cette merveille dont on parle tant.

La salle de spectacle, nouvellement construite, était à l’autre extrémité du château. Marguerite resta seule. Elle n’était pas en état de suivre sa mère dans cette promenade. D’abord, elle étudia l’arrangement du salon, qui était de l’élégance la plus ingénieuse. Ce salon était immense, et, par la manière dont les meubles étaient placés, il était confortable et intime comme un boudoir. Chaque coin du salon était lui-même un petit salon indépendant des autres, et orné de ses attributs particuliers.

Dans celui-ci on allait lire ; sur une large table, entourée de bons fauteuils, étaient étalés une foule de journaux, des revues, des recueils de toute espèce, livres de science, de poésie, de politique, voire même d’agriculture : c’était la bibliothèque.

Dans cet autre était un magnifique piano, embastillé dans une forteresse de canapés et flanqué de deux élégantes étagères chargées des meilleures partitions anciennes et modernes : c’était la salle de concert.

Dans cet autre était la table à dessiner, les métiers, les boîtes à ouvrage pour les femmes laborieuses, des vases remplis de bouquets artistement composés pour tenter les peintres de fleurs ; tout cela près de la fenêtre ; le jour était disposé avec soin : c’était un atelier d’amateurs.

Là-bas, enfin, c’était ce que le duc appelait en riant : le dortoir. Le jour y était encore plus doux ; il n’y avait que des sofas, des chaises longues, des dormeuses, des ganaches, de grands fauteuils à accotoirs comme ceux de nos pères, des pouffs, des brioches, des pavés, des coussins, des carreaux d’Orient, tout un mobilier de paresseux. C’était dans ce coin