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LE PALAIS DE LA VANITÉ

— Mille centimes ! que cette belle femme est horrible ! s’écria le mendiant ; elle me ferait aimer la mienne !

Et le jeune étranger ne put s’empêcher de rire de cette réflexion.


Le soir étant venu, on offrit aux étrangers un appartement pour passer la nuit. — Mieux vaut ce salon qu’une auberge, pensa Alméric ; et il suivit le valet, qui le conduisit dans une chambre à coucher magnifique, préparée pour les voyageurs.

Épuisé des fatigues de la journée, il se hâta de se déshabiller et se coucha.

À peine était-il dans le lit, qu’il poussa des cris effroyables :

— C’est horrible ! on m’écorche ! je suis au supplice ! Qu’est-ce cela ? C’est une trahison, une cruauté sans exemple ! — et mille plaintes de ce genre ; et cependant il n’y avait pas de quoi tant se fâcher, c’était d’un soin bien admirable qu’il se plaignait ainsi.

Les draps qui recouvraient son lit étaient de mousseline des Indes… brodée de petites paillettes d’or : cela était charmant, je vous assure ; mais lui, qui couchait d’habitude dans de la grosse toile de Hollande, ne pouvait apprécier tant de recherche. Il faut du temps, mes chers neveux, pour s’accoutumer aux inconvénients de ce qui brille.

Le pauvre Alméric avait les pieds tout écorchés ; chaque mouvement qu’il faisait pour sortir de ce lit terrible lui déchirait la peau ; il avait les bras tout en sang. — Vanité des vanités ! s’écriait-il ; vieillard, mendiant, fuyons d’ici ! On ne dort point dans ce palais, et moi je veux dormir…

Le vieillard entra dans cet instant. — Je vous attendais aux paillettes d’or, dit-il en souriant ; eh bien, que vous en semble ?… était-on bien dans ce lit superbe ?

— Sortons, fuyons d’ici ! reprit le jeune voyageur, qui était las de la plaisanterie ; je ne veux pas rester une heure de plus dans ce séjour… Les hommes y sont stupides, les femmes y sont affreuses ! On n’y peut manger ni dormir… Partons ! allons, vieillard, partons !

Alméric, ayant remis ses vêtements à la hâte, poussa rude-