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LE PALAIS DE LA VANITÉ


Ces messieurs veulent voir la belle femme ? demanda le laquais qui conduisait les étrangers.

— Oui, oui, répondit vivement Alméric, je veux voir la belle femme ; où est-elle ?

— Par ici, messieurs ; donnez-vous la peine d’entrer dans ce boudoir.

Ils entrèrent alors dans un salon ravissant, tout en glaces : le plafond, les panneaux du mur, tout cela n’était qu’un seul miroir où l’on pouvait se regarder à son aise de face, de profil, et de trois quarts.

La belle femme était couchée sur un canapé. À son aspect, le mendiant et Alméric reculèrent d’horreur : cette belle femme était une monstruosité ; elle se croyait un chef-d’œuvre.

Tout était beau en elle, et pourtant elle paraissait horrible : c’est que l’exagération de toutes les beautés compose un ensemble hideux. C’est l’harmonie qui fait la grâce des choses qu’on admire, c’est le mouvement qui donne la vie, et cette belle femme n’avait ni grâce ni mouvement.

Elle était née fort jolie, mais l’excès de sa vanité, de sa coquetterie, lui avait fait perdre tous ses charmes ; elle était belle comme l’avait créée la nature, elle voulut être belle comme on dépeint la beauté ; elle exagéra tous ses avantages et les changea en difformités.

Elle demanda des cheveux de soie, elle eut de longs cheveux de soie sans vie et sans couleur ; elle désira des dents de perles, et ses dents paraissaient horribles ; elle voulut une taille de guêpe, et son corps, serré dans une étroite ceinture, était sans grâce et sans souplesse : il paraissait devoir se briser à tout moment ; elle demanda des mains d’albâtre, et ses mains devinrent ternes et froides ; elle voulut un pied d’enfant, et ce pied difforme, ne pouvant soutenir son corps, ne lui permettait point de marcher. Jamais rien de plus hideux ne s’était offert aux regards : c’était la laideur idéale.