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LE PALAIS DE LA VANITÉ

son manteau, et que d’énormité de sa taille l’avait d’abord empêché de découvrir.

Ces deux pages ne la quittaient pas plus que son ombre : c’était une prérogative de son rang de ne pouvoir faire un seul pas, une seule action, sans être accompagnée de ces deux bambins.

L’empressement qu’elle mit à obéir au mendiant lui fit oublier ses deux petits gendarmes ; et elle s’avança si vite sans les prévenir, qu’ils ne pensèrent pas à la suivre, et que sans le vouloir ils la retinrent par son manteau qu’elle tirait aussi de son côté en marchant, ce qui les fit tomber tous deux sur le nez et elle sur le dos. Comme elle était fort lourde, elle se fit beaucoup de mal, et les autres domestiques s’empressèrent de la secourir.

— Un manteau de cour, dit le mendiant, ne me paraît pas très-commode pour faire le ménage !

Et le jeune étranger ne put s’empêcher de rire de cette réflexion.


Un des laquais, ayant pris un flambeau, guida les étrangers dans les vastes appartements du palais. Ils arrivèrent dans la salle à manger. — Ces messieurs veulent-ils souper ? demanda-t-il.

— Volontiers, dit le mendiant ; il n’y a qu’un bon repas qui ne soit pas une vanité.

Il se mit à table. À peine eut-il goûté quelques mets, qu’il les trouva si recherchés, si salés, si poivrés, si sucrés, si truffés, surtout si compliqués, qu’il ne voulut plus y toucher. Impossible de reconnaître un seul animal, tant il était bien assaisonné.

— Qu’est-ce cela ? demanda le vieillard, c’est un lapin ?

— Non, monsieur ; ce sont des côtelettes d’agneau.

— Et ceci, c’est de la purée de lentilles ?

— Non, monsieur ; c’est une purée de lièvre.

C’était une confusion à n’y rien connaître. En outre, tout cela était froid, car les réchauds étaient de malachite et personne n’aurait osé les chauffer.

— Ma foi ! dit le mendiant, j’aimerais mieux une omelette