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LE CHIEN VOLANT.

Il crut que c’était l’écho, et pourtant il fut tourmenté de cette singularité.

Léon fut bientôt distrait de cette inquiétude en apercevant une voiture de poste sur la grande route ; il présuma que ce devait être celle de son père, et il dirigea le chien de ce côté pour reconnaître, au clair de la lune, si ce voyageur était M. de Cherville. Il fut heureux de voir que c’était bien lui : alors il s’amusa à lui servir de courrier. Léon volait sur les ailes de son chien jusqu’au prochain relais ; là, il mettait pied à terre, faisait grand bruit à l’hôtel de la poste, commandait les chevaux, pressait les postillons, puis il remontait dans les airs sitôt qu’il entendait la voiture s’approcher. Il voyagea de la sorte pendant la moitié de la nuit à côté de son père, jusqu’à ce qu’ils arrivassent au château. À peine la voiture entra-t-elle dans la cour, que Léon descendit avec le chien volant, et vint au-devant de son père. Après l’avoir tendrement embrassé :

— J’avais un pressentiment, lui dit-il, que vous arriveriez cette nuit ; c’est pourquoi je n’ai pas voulu me coucher : je n’aurais pu dormir.

— En vérité, dit M. de Cherville, je ne comptais moi-même arriver que demain ; mais le service des postes est si bien fait maintenant, que je n’ai pas perdu une heure. Ah ! l’administration a fait en France de grands progrès depuis mon absence ; je dois des compliments aux maîtres de poste d’à présent : ils font leur métier en conscience.

— L’administration, cette fois, c’était moi, pensa Léon.

Ainsi nous prenons souvent pour une amélioration générale le zèle discret d’un ami qui nous rend service à notre insu.

Certes, Léon fut bienheureux de revoir son père, de lui parler, de l’embrasser enfin, et pourtant tout ce bonheur fut empoisonné non par un grand malheur, mais par une niaiserie, par un mot dit en riant, par un mot insignifiant pour tout le monde, et qui cependant lui révélait un imminent danger.

En se promenant dans le jardin avec son père, Léon entendit la même voix qui l’avait tant troublé la veille prononcer distinctement ce mot fatal : — Nasguette ! Nasguette !

Hélas ! il n’y avait plus moyen de croire que c’était l’écho qui parlait cette fois.