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LE CHIEN VOLANT.

caché à tous les yeux par les hauts arbres de la forêt, franchissait les précipices et les broussailles sur les ailes du chien volant. À peine un oiseau partait-il devant eux, Faraud le poursuivait avec ardeur et bientôt l’atteignait, car il volait plus vite que tous les oiseaux ; il le saisissait dans sa gueule, puis retournait aussitôt sa tête vers Léon pour lui offrir sa conquête.

Cette chasse au vol amusait Léon plus que tous les autres plaisirs ; il aimait beaucoup mieux cela que d’aller se promener dans le bateau avec Henri, qui lui jetait de l’eau au visage tout le temps de la promenade et dont la grande joie était de faire tomber Faraud dans la rivière.

Henri était, comme on le pense, fort jaloux des succès de Léon à la chasse, et Léon, se défiant de lui, ne parlait jamais des faisans qu’il avait tués que lorsqu’ils étaient déjà presque assaisonnés. En effet, si Henri les avait regardés au moment où son ami les rapportait, il aurait remarqué qu’ils n’avaient nulle trace de coups de fusil, et il en aurait conçu des soupçons dangereux pour le chien volant.

L’amabilité de Léon n’était pas moins digne d’envie que son adresse, et chaque jour Henri avait à souffrir des nouveaux éloges qu’il entendait faire de son ami. Il était impossible de voir Léon sans l’aimer, et sans le haïr quand on en était jaloux. Depuis qu’il possédait un secret important, tout son caractère était changé : la présence d’esprit continuelle qu’exige un mystère à cacher avait mûri sa raison plus que ne l’auraient fait dix années. Léon était devenu réfléchi avant l’âge, ce qui ne l’empêchait point d’être gracieux et bienveillant. Au contraire même, dominé par une préoccupation constante qu’il ne pouvait confier, il ne songeait à taquiner personne, ce que font toujours les gens qui n’ont rien à penser et qui s’occupent des autres pour les tourmenter.

On l’aimait dans tout le pays ; on vantait surtout ses soins pour sa mère : — Il l’aime tant, disait-on, qu’il a fait en une nuit quatorze lieues à pied pour aller chercher un médecin à Paris. La pauvre dame était bien malade, il est vrai, et elle n’avait pas confiance dans le médecin d’ici ; mais elle a été si contente de son cher enfant, qu’elle a guéri tout de suite.

Voilà ce que croyaient les bonnes femmes du pays ; nous qui