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LE CHIEN VOLANT.

Alors tu en as pris au moins vingt tasses ? dit madame de Cherville en souriant.

— Oh ! je n’ai pas déjeuné si longtemps, reprit Léon ; nous avons été nous promener dans les serres et dans le jardin… Et puis j’ai joué… j’ai couru…

— Quel est ce vilain chien ? interrompit madame de Cherville ; est-ce celui que tu as choisi ? il est bien laid, mon pauvre Léon !… madame de Valencourt s’est moquée de toi !

Ne pouvant raconter tous les talents de son chien, Léon avait mieux aimé ne point parler de lui du tout ; mais quand il entendit sa mère traiter si outrageusement cet animal extraordinaire, il n’y put pas tenir.

— Si vous le voyiez… courir, maman, s’écria-t-il, vous ne le trouveriez pas si laid ! Ah ! si vous pouviez le voir comme moi !… Et puis il a tant d’esprit, d’intelligence ; c’est un chien bien remarquable : on ne trouverait pas son pareil dans l’univers.

— Sois tranquille, je ne le chercherai pas, son pareil ! j’ai déjà bien assez de celui-là. — Et madame de Cherville riait malgré elle de la triste figure du chien, qui n’était pas très-beau, comme nous l’avons déjà dit.

Léon était au supplice ; il ne pouvait entendre sans colère madame de Cherville se moquer de son chien, de ce chien si merveilleux dont il ne pouvait trahir le mérite. Voir mépriser un être si digne d’admiration ! Son amour-propre souffrait pour son pauvre chien, qu’il aimait tant, avec lequel il s’était élevé si haut loin de la terre, avec lequel il avait plané dans les cieux au-dessus du monde et des hommes : le laisser insulter ! oh ! c’était impossible. — Viens, mon bon Faraud, dit Léon en s’adressant au chien volant, viens dans ma chambre ; là du moins personne ne se moquera de toi.

— Dans ta chambre ! s’écria madame de Cherville : non vraiment ; c’est à l’écurie qu’il faut le conduire.

— À l’écurie ! répéta Léon indigné ; mettre à l’écurie un chien qui… — À ces mots il s’arrêta, prés de trahir son secret, mais l’indignation et la douleur le suffoquaient, et il se mit à fondre en larmes.

Madame de Cherville eut pitié du désespoir de son fils. —