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LE CHIEN VOLANT.

analysée, commentée, discutée, épluchée, disséquée. Or, tu le sauras un jour, peu de gouvernements, d’actions, de choses, de personnes et de chiens survivent à la dissection. Qui dit analyser, dit tuer. Ainsi, mon cher enfant, si l’on découvre jamais que ton chien a des ailes, comme cela seul est une monstruosité, on le disséquera… On lui coupera les ailes pour savoir ce qui les fait agir, on lui ouvrira la poitrine pour savoir comment il peut respirer dans son vol, on lui ouvrira la tête pour savoir s’il a la cervelle d’un chien ou celle d’un oiseau, on lui arrachera les deux yeux pour savoir comment ils supportaient l’éclat du soleil… enfin, on l’analysera ; et le pauvre animal sera tellement mutilé, que tu n’auras pas même la ressource de le faire empailler !

Léon ne comprenait rien à ce discours, si ce n’est qu’on ferait beaucoup souffrir son chien si l’on apprenait qu’il était une merveille ; et il se promit bien de cacher à tout le monde ce grand secret.

— Maintenant, lui dit la fée, quel nom lui donneras-tu ?

Léon était un peu pédant, et comme il apprenait la mythologie et qu’il savait depuis deux jours le nom du cheval des poëtes, qui avait des ailes, il répondit : — Je le nommerai Pégase.

— Imprudent ! s’écria la fée ; c’est comme si tu disais : Mon chien a des ailes, puisque Pégase en avait aussi.

— Eh bien, je le nommerai Zéphire.

— Encore ! s’écria la fée ; tu es donc fou ! Il faut lui donner un nom qui n’ait aucun rapport avec ses facultés extraordinaires.

— Ah ! je comprends, reprit Léon ; il faut dissimuler. Mon chien est léger, puisqu’il vole… je l’appellerai Pataud.

— Cela ne vaut rien non plus, répliqua la fée ; le contraire d’une chose en donne l’idée ; il y a des gens très-fins dans ce pays. Crois-moi, choisis, pour ton chien un nom tout à fait insignifiant, tel qu’Azor, Castor, Médor.

— Oh ! non, reprit l’enfant avec dédain ; la portière de maman a eu trois chiens qui se nommaient ainsi.

— Eh bien, nomme-le Faraud, Taquin, Sbogar ; comme tu voudras.