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OU DEUX AMOURS

— Voilà un aimable motif pour une visite de remercîment ! Ô ma mère ! que vous êtes bien une véritable mère !

En disant cela, Marguerite embrassait avec tendresse madame d’Arzac, qui, riant elle-même de son empressement, à critiquer la beauté de la duchesse, ajouta gaiement :

— J’espère même que je vais découvrir que le matin elle est laide ! C’est possible maintenant… c’est très-possible : les grandes passions font de tels ravages !

— Madame de Bellegarde est donc en proie à une grande passion ?

— C’est tout un roman !

— Mais je croyais qu’elle adorait son mari ?

— Elle l’adore toujours, mais moins. Cette adoration s’est compliquée d’un autre amour.

— Alors, c’est qu’elle n’aimait pas son mari : quand on aime, on est invulnérable.

Marguerite prononça cette phrase d’un ton pédant et superbe dont madame d’Arzac se moqua.

— Ma chère enfant, dit-elle, tu es un vrai docteur en amour.

— Et vous, ma mère, un grand athée ! Vous êtes d’une indulgence qui révolterait, si l’on ne connaissait pas votre vie exemplaire. Il faut être, comme vous, un modèle de vertu pour oser parler de l’amour avec tant de légèreté.

— Oh ! ce n’est pas de la légèreté, c’est de la modestie ! Au contraire, je respecte l’amour comme toutes les choses que j’ignore.

— Mais vous comprenez tout, vous admettez tout !

— Précisément parce que je ne sais rien ; ne pouvant juger par moi-même, j’accepte toutes les variétés du sujet, toutes les définitions, toutes les contradictions, les exceptions, etc., etc. ; n’ayant point fait d’études, je n’appartiens à aucune école ; je n’ai pas, comme toi, de parti pris ; je ne décide pas, je n’argumente pas ; si quelqu’un vient me raconter que telle femme a fait telle folie par amour, je me dis : Il paraît que lorsqu’on aime à ce degré, on arrive à ce genre de folie ; comme je dirais : À tel degré de chaleur, le métal fond. Mais je n’en suis pas plus sévère pour cela, et je ne crois pas la femme plus crimi-