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LE CHIEN VOLANT.

Léon, du haut des cieux, n’apercevait plus la terre que vaguement : Paris lui semblait un petit tas de pierres, et la pointe du dôme des Invalides une aiguille anglaise à tête d’or.

À mesure qu’il s’élevait, l’air devenait plus froid, et comme il était à peine vêtu, il songea bientôt à redescendre.

Il voulut prononcer le mot magique qu’il avait tant de fois étudié avant de partir pour les airs ; mais il se trompa, et confondant le mot du départ avec le mot du retour, il s’écria deux fois, comme il croyait devoir le faire :


NASGUETTE !
NASGUETTE !…


Mais le chien, loin de redescendre, reprenait un nouvel essor et s’élevait encore plus haut dans son vol.

Léon reconnut sa méprise et s’apprêta à prononcer le second mot ; mais il l’avait presque oublié, il le disait mal, et le chien volant n’y obéissait point.

En effet, le mot magique était difficile à retenir, pour un enfant surtout qui n’était pas fils de magicien.

Au lieu d’Aldaboro, Léon disait : Aïe donc, bourreau ! ou bien : À dada, bourreau ! Ah ! beau bourreau ! Attanporo ! et dix autres bêtises semblables qui n’étaient pas magiques du tout : aussi le chien n’en prenait-il qu’à son aise ; il se promenait dans les airs sans songer à redescendre.

Léon commençait à s’alarmer : — Vais-je donc rester éternellement ainsi ? se demandait-il ; maman sera Inquiète de ne pas me voir revenir… et puis je ne peux pas vivre en l’air toujours, sans manger. Il n’y a même pas moyen de crier au secours ; personne ne m’entendrait. Ah ! mon Dieu, qu’est-ce que je vais devenir ?

Il est certain qu’il ne pouvait compter sur les passants pour lui venir en aide ; les voyageurs sont rares dans ce pays-là, peut-être parce qu’il n’y a point d’auberges…

Le pauvre enfant commençait à se désenchanter de son beau chien ; il découvrait qu’une merveille est un tourment lorsqu’on ne sait pas s’en servir.

D’abord, il se mit à pleurer, comme font tous les petits enfants qui ont peur ; ensuite, il réfléchit que ses larmes étaient